mardi 19 février 2019

« Emmanuel Macron a l’ambivalence des jésuites » (Patrick Rambaud)





Historien affûté, observateur précis, portraitiste redoutable, Patrick Rambaud constitue depuis dix ans une histoire satirique de la Ve République. Dans son nouveau livre, il pressent la montée des « orages ».

26/01/2019 à 6h00   entretien   ZOOM

Patrick Rambaud

Membre de l’Académie Goncourt. Prix Goncourt 1997. Vient de publier Emmanuel le Magnifique (Grasset)

Dans votre livre, vous évoquez par avance les « orages » à venir pour le quinquennat d’Emmanuel Macron. Sentiez-vous venir le mouvement des gilets jaunes ?

Patrick Rambaud : Oui, d’une certaine façon. Emmanuel Macron était auréolé de sa jeunesse, de sa prestance, de son dynamisme. Le pays l’observait avec confiance et bienveillance. Il était le plus jeune président de la République, le premier élu grâce à Internet. C’est aussi le moyen de ralliement dont se servent les gilets jaunes. Il y a bien des similitudes entre eux. Lui, comme eux, ont cassé et balayé les partis. Quand les gilets jaunes surgissent, le vent de folie qui secoue le pays lui met tout sur le dos, la suite d’erreurs et de mauvaise gestion depuis quarante ans. Il paie pour tous ses prédécesseurs.

Pourquoi ce revirement aussi subit ?

P. R. : Emmanuel Macron accumulait les succès. Il avait trop de chance. Il le paie aujourd’hui. L’affaire Benalla a été le déclencheur de cette violente disgrâce. Soudain, tout s’est retourné. Tout, chez lui, est devenu négatif. À la faveur de cette défaveur, ses adversaires essaient de remonter mais n’y arrivent pas. Quand Macron évoque « les Gaulois réfractaires », expression qui renvoie au personnage d’Astérix, on le traite d’arrogant. Il ne l’est pas. C’est seulement un énarque plus malin que la moyenne. Voilà un homme à qui tout a réussi, qui n’a pas connu d’obstacles. On ne le lui pardonne pas. Il a grandi dans les livres, vécu une existence protégée, cherchant la compagnie de personnes plus âgées que lui. Un drôle de personnage. Un solitaire. Grand-père avant d’être père. Son histoire d’amour avec une femme mariée, en province où tout le monde se surveille, l’élève qui part avec la maîtresse, suscite évidemment réprobation et jalousie. Il a reproduit les schémas classiques des romans du XIXe siècle. En cela, c’est un héros de Stendhal et de Flaubert, le frère de Julien Sorel (Le Rouge et le Noir) et de Frédéric Moreau (L’Éducation sentimentale).

Vous qualifiez son éducation et son comportement de jésuite. En quoi ?

P. R. : Emmanuel Macron n’est pas un homme d’argent. Il veut juste réussir et convaincre, ramener à soi les foules, les évangéliser. Comme les jésuites qui l’ont formé à Amiens. D’où l’ambivalence de son « en même temps », bienveillant et autoritaire.

Pourquoi ces orages si soudains, si violents ?

P. R. : Les failles sont vite apparues. Il est passé, d’un coup, de l’horizontalité de sa campagne à la verticalité du pouvoir. Dès l’annonce de sa candidature, il file à la cathédrale de Saint-Denis se recueillir devant les gisants de la royauté. Féru de symboles, il fête son anniversaire à Chambord. Il avait réussi à faire passer les réformes sans trop de casse, comme celle de la SNCF, malgré quelques grognements. Il était fondé à croire que ça pouvait continuer. Mais la grogne, devenue révolte avec les gilets jaunes, couve depuis quarante ans. Elle tombe sur lui. Ses atouts sont devenus des poids. On lui reproche ce qu’on lui pardonnait.

Comment est-on passé de l’admiration à la haine ?

P. R. : Deux sentiments extrêmes, dans les deux cas. Un retournement aussi soudain est très rare. Emmanuel Macron subit le régime des montagnes russes. Il ne jouit de l’effet Coupe du monde que pendant deux jours. Puis éclate l’affaire Benalla. Il fait venir les leaders du monde entier devant l’Arc de triomphe. Deux semaines plus tard, le monument est saccagé et les Champs-Élysées vandalisés.

Quelle singularité discernez-vous dans le mouvement des gilets jaunes ?

P. R. : Ce sont les premières émeutes parisiennes sans Parisiens. Les premières aussi qui se déroulent le week-end. D’habitude, elles cessent en fin de semaine. Ce mouvement sporadique et de fond ne ressemble à rien de connu. Invoquer la colère ne suffit pas à l’expliquer. On peut comprendre la motivation de ceux qui sont dans la mouise. Ils mobilisent aussi des moyens nouveaux, plus brutaux, plus spontanés, qui accélèrent le temps et suppriment la réflexion. On voit tout en direct. Le vrai et le faux se mélangent dans ce torrent d’informations grotesques (douter de l’attentat de Strasbourg est terrifiant…) Le numérique est un grand malheur. Je m’en préserve en n’ayant ni Internet, ni de réseaux sociaux. On n’ose imaginer Internet au temps de la Collaboration…

Que pensez-vous de la forme de cette révolte et du comportement des foules ?

P.R. : Personne ne sait comment ça peut tourner. Les mauvais sentiments viennent de loin. Ils sont très anciens. Déjà, la terreur a commencé à poindre, avec ces ronds-points que ne peuvent franchir que ceux qui font allégeance, gilet jaune sur le tableau de bord… Et je ne parle ni des insultes, ni des coups de poing. La violence a toujours existé. Avant, c’était bien pire. Relisez Tacite. Elle est plus douce qu’elle n’était. Que l’on songe aux massacres d’où nous venons.

Emmanuel Macron est-il un homme de pouvoir ou de conquête ?

P.R. : Assurément, un homme de conquête. Là, il est reparti en campagne. Et il est bon dans cet exercice de reconquête de l’opinion. Mais il est seul.

Recueilli par Jean-Claude Raspiengeas



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