J’entends les oiseaux, je sens la fraîcheur… J’ouvre les
yeux. Je vois le ciel….
J’éprouve du mal à me redresser. J’ai mal partout en fait…
Je suis sur la petite corniche. J’ai du y passer la nuit. Je
ne me souviens pas m’y être endormi.
Je tente de me relever, avec beaucoup de peine. J’ai des
douleurs partout…
Que se passe-t-il ? Je me tiens péniblement à la paroi
rocheuse. Je regarde ma main. Elle est toute ridée. L’autre aussi. Bon sang !
Je parviens à m’adosser à la falaise. Je soulève ma manche gauche, avec
difficulté… La peau de mon bras pend et est flasque et tachetée comme celle
d'un vieux.
La jauge de mon JE45 est à zéro ! A zéro ! A zéro !
J’ai eu l’injection d’hormone d’ HBJ, quand, déjà ? C’est si
loin… J’étais entre Dresde et Berlin dans la 3ème division AAA (d’assaut
aéroportée par aéronef).
Je ne me souviens plus. Je me baisse, des douleurs plein les
articulations. Je sors d’une pochette, mon carnet, que je feuillette
frénétiquement. J’ai du mal à lire…
Oui, c’est ça… C’était le 8 juin… Et nous sommes fin août.
J’ai dépassé la date…
Il fallait renouveler le traitement au bout de deux mois,
comme je le fais depuis des années et je n’y ai pas pensé…
Trop de combat, trop de lutte pour survivre… Et maintenant,
je vais vieillir à toute vitesse et de manière irréversible.
J'essaye de soulever mon harnachement. Je n’y arrive pas, il
est devenu trop lourd… Mon MiniMI lui aussi est par trop pesant…
Je devrais me passer de l’un et de l’autre. Il faut que je
parvienne à gravir les quelques mètres jusqu’au plateau. Aurais-je la force
même sans fardeau à porter ?
J’entreprends l’escalade. Chaque mouvement d’ampleur trop
importante provoque des douleurs dans mes articulations.
Avec beaucoup de mal, de gémissements de douleur, je
parviens dans un ultime effort à rejoindre le plateau…
Les bras affalés sur le bord, je reprends mon souffle avant
de me rétablir sur le sol.
Je vois sous mon nez, des mégots de cigarettes de marques
différentes et qui dégagent encore une odeur de tabac froid…
Ainsi, ils sont venus jusqu’ici… Heureusement, ils ne m’ont
pas repéré dans mon sommeil !
Je me hisse enfin sur le plateau. Je me mets debout avec difficulté. Je suis
voûté. J’ai les mains qui tremblent. Merde ! Mais pourquoi n’ai-je pas pensé à
mon traitement ?
Je me mets en chemin en claudiquant et je ne vais guère très
vite.
Il me restait une journée de marche pour retrouver les
miens. A cette allure, je n’y parviendrai jamais…
Le trajet est long. Je ne m’embarrasse plus à essayer de me
cacher. J’emprunte les routes, au risque d’être mitraillé par les aéronefs
ennemis.
Je n’ai plus grand-chose à perdre…. Je tremble de plus en
plus… Mon allure diminue…
J’aurais du rester me battre jusqu’au bout avec les autres.
Ma mort aurait servi à quelque chose. Alors que là, je vais perdre la vie pour
rien.
Je voulais revoir ceux que j’aime, mais je n’y parviendrai
pas…
Des grondements de turbines se font entendre. Je vois des
avions dans le ciel. Ce ne sont pas des Chinois. Ils arborent l’étoile à cinq
branches. Ce sont des avions de transport de l’U.S. Air Force.
Ils plongent dans la vallée qui s’étend à présent devant
moi.
Des centaines et des centaines de corolles s’ouvrent retenant
chacune un container.
Les Américains viennent à notre secours.
Je vois un panneau indicateur et je m’approche pour le lire
… Sainte-Croix, Moissac et Saint Etienne Vallée Française.
La Vallée Française est à mes pieds. Trente kilomètres pour
Moissac…
Je m’accroche au panneau. Mes jambes se dérobent… Je regarde
devant moi, les corolles continuent de descendre vers le fond le la vallée. Je
crie « Vive les Américains ».
Qui a dit ça ? J’ai entendu une voix chevrotante qui disait
« Vive les Américains ». Une voix de vieillard… C’est ma voix…
Je n’arrive plus à m’accrocher au panneau et je me laisse
glisser au sol sur l’herbe près de la route…
Je suis allongé. Il fait froid… Je regarde le ciel. D’autres
avions passent et d’autres corolles s’ouvrent. C’est joli, toutes ces fleurs
dans le ciel…
Je ne sais pas si mes enfants jouent aux petites voitures
dehors. Il faudrait que je les appelle pour venir voir les jolies fleurs…
Je ne les vois plus, les jolies fleurs. Je ne vois plus
rien…
C’était beau…C’était beau… C’était…
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