mardi 24 mars 2015

Le jour où nous ne sommes plus rien

Écrit le 24 mars 2015... Souvenirs vieux de 2007

Un jour, c’était en 2007, quelques temps après ma reprise de travail, sur ce qui serait mon dernier chantier, le plus gros chantier de bureaux de France à l'époque (65.000 m2). Nous faisions une pause café dans notre baraque de chantier et les discussions se font par groupe, les jeunots entre eux et mon ami Didier R. et moi en aparté…

Je lui dis « Tu sais, c’est bizarre depuis que je suis sur ce chantier, c’est la première fois que je n’apprends rien. Je n’ai strictement rien appris ! »
Il me rétorque « Quelle coïncidence que tu me parles de cela, c’est aussi ce à quoi je pense depuis un certain temps ! »

En fait nous tombâmes d’accord sur le fait que nous retrouvions sur ce chantier toutes les vicissitudes, toutes les erreurs, toutes les conneries que nous avions connus dans notre passé. Aucun ‘ingrédient’ nouveau, aucune nouvelle procédure, nouveau procédé, nouvelle déviance de chantier, nouvelle arnaque. Non, rien n’était nouveau !

Pour la première fois, nous n’avions pas à imaginer des solutions, puisque nous les avions déjà toutes, contrairement aux petits jeunots de notre équipe, qui savaient soit-disant tout, mais qui tombaient dans tous les pièges.
Heureusement que nous étions là pour les remettre dans le droit chemin. Ce qu’ils admettaient difficilement, imbus qu’ils étaient de leurs personnes…

Car c’est bien ce qui nous distinguait Didier et moi d'eux : Nous avons appris auprès de nos anciens, puis par nous-mêmes, tâchant de bien comprendre, sans forfanterie, avec humilité, en progressant vers la compétence.
Toute notre vie nous avions appris. Ainsi nous avions également appris à traiter ces nouveaux éléments de connaissances, de comportements, de procédures, de matériaux nouveaux et à leur apporter des solutions.

Apprendre était le signe de notre capacité de progresser, de nous améliorer, de nous montrer à nous-mêmes que nous étions plus efficace que la veille ; en fait que nous ‘étions’ tout simplement.

Lui comme moi, nous nous étions persuadés qu’apprendre c’était exister…

Ce jour-là, devant cette machine à café, nous n’avons pas constaté que nous étions les rois du monde ni les cadors de la compétence en projets de bâtiment, non !
Ce jour-là, nous nous sommes interrogés sur ce que nous étions. Après avoir été tant de choses, pouvait-on encore être quelqu’un, dans cette posture de connaissances figées ?

Étions-nous dans l’incapacité de détecter des problèmes nouveaux ? Ou bien n'y avait-il tout simplement pas de problèmes nouveaux pour nous ?
Personnellement j’arguais que mes problèmes cognitifs du à l’AVC étaient peut-être à l’origine de cette ‘anomalie'. Didier R. me rétorqua que lui-même n’avait pas eu de problème de santé et que pourtant il était dans la même posture que moi : Ce chantier était si prévisible !

Nous avons donc mené la coordination et la planification de ce chantier avec tout notre savoir, suppléant ainsi aux carences des uns et des autres : Une Maîtrise d’œuvre d’exécution complètement bidon, un Archi qui partait dans tous les sens, une incurie quasi générale des conducteurs de travaux des corps d'état et nous assurions une assistance au maître de l’ouvrage, alors que rien de cela n’était dans nos attributions, etc… Perso je coordonnais, en sus de mon énorme charge de travail, les livraisons en amont et sur le terrain, avec des gus parfois violents mais souvent hargneux...

On faisait tout, automatiquement, on n'était surpris de rien, blasés.
Mais, bon sang, que s’était-il donc passé ???
        

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