jeudi 9 juillet 2015

Mémoires de mon père (5)



Ma nourrice, elle en avait peur, du Maître d’école. Elle osait pas. Comme il savait que personne prenait ma défense, hé bien mon vieux, jusqu’à ce que j’quitte l’école, il m’en a fait voir.
Et j’étais tellement… j’en avais tellement marre, qu’un jour lui ai dit « Monsieur, quand je serais grand, je reviendrai, j’vous casserai la gueule ! ».
Il m’a foutu une de ces trempes ce jour là ! Et pis… je l’ai assuré que j’lui foutrai sur la gueule quand j’serai grand !

Et à vingt ans, quand j’suis revenu pour aller au régiment, mon vieux, j’étais décidé d’aller pour lui casser la gueule. Manque de pot, il était mort !

Le curé, pareil ! L’curé, j’étais aussi son souffre-douleur ! Il m’en a fait des vacheries ! Des punitions pour aller… lui aussi, pour sarcler son jardin, hein ! Lui faire ses corvées de bois, tout ça… Ah, c’était une bande de salauds, hein ! Ah ça, j’oublierai jamais !

Un jour, quand j’serai mort et bé, j’espère, mon vieux…

Le maître d’école qui m’avait promis de me donner un vélo d’courses avec des jantes de roues en bois, à condition qu’j’y fasse ceci, cela et que je le dise pas… que je dise rien à personne, qu’il me faisait faire toutes ces corvées à porter des fagots dans l’grenier et puis, hein, y’m’dit : « J’te l’donnerai ».
Quand je suis pour partir en vacances, j’y dis « Monsieur, faut m’donner l’vélo ! ». Parce que c’était l’année que j’quittais l’école.
Il m’a dit « On verra. Attends, attends. J’ai l’temps ? ». « Oui, oui », « Mais si on reste là ». Parce que sa famille habitait à Créance, mais il dit « Je m’en vais pas, heu, j’te le donnerai quand tu seras placé », qu’y m’dit !
Et puis quand j’suis revenu le voir, que j’étais chez… domestique chez Monsieur Homet, et ben, pas question qu’il me le donne, hein !
C’était vraiment une ordure finie, hein ! Ouais !

Voilà les gens qui m’ont… Hein ! L’curé qui le jour de l’examen de ma communion… J’suis sorti premier, hein ! premier de tout le monde. Alors les examinateurs, les autres curés, y disent « Vous êtes premier ! Vous aurez l’honneur de réciter les vœux ! ». Puis après ils sont partis.
En fait de vœux, ce con de curé, comme moi j’pouvais pas lui porter de j’ambon ni cochon, ni d’volaille, ni rien, il l’a donné à un autre, à un fils de péquenot qui, qui lui portait toujours des… de quoi bouffer.
Et moi, il m’a, il m’a enlevé les vœux, il m’a placé avant-dernier, hein ! Mais ça n’fait rien. J’lui en ai voulu, hein ! Il m’a fait, j’ai eu la communion à réciter, hein ! « Ô cœur sacré de Jésus, humblement prosterné à vos pieds »… Enfin, bref ! De c’temps-là, gamin, j’lui en ai voulu longtemps. Il a fallu que, que j’me marie et que j’devienne adulte et que j’m’en aille loin d’Heugueville, que je soit , comment on appelle cà ?... des gens qui s’expatrient si on veux quoi, de sa Normandie, pour reconnaitre que… ça m’a p’t’être porté, ça m’a porté certainement chance dans ma vie, d’avoir été parler directement au cœur de Jésus, Ouais ! Enfin bref !

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