Je
parle plus souvent de mes rêves que de mes cauchemars. Je fais d’ailleurs peu
de cauchemars. Certains de ceux-ci sont absurdes, incompréhensibles et
s’évacuent dès le réveil. D’autres sont récurrents et inquiètent car on finit
par penser qu’ils sont prémonitoires, jusqu'au moment où l'on finit par
s'habituer. D’autres encore sont des souvenirs qui reviennent…
Celui
de cette nuit était un ancien traumatisme. Un évènement vrai. Un de ces
épisodes horribles dont chacun se remet différemment. Certains, dans des cas
extrêmes, finissent à l’asile, d'autres revivent mille fois les affres de
l’horreur et finissent par oublier quelque peu. D’autres encore, comme mon père
et moi-même, ont eu la chance que leurs cerveaux occultent leurs traumatismes en
se mettant exclusivement au service de leur présent et en ignorant les
souvenirs traumatisants.
Tout
est revenu en 2006. J’ai essayé d’en parler à ma femme à mes gosses. Les
oreilles se fermaient. Nulle écoute. Personne ne veut écouter ce qu’il ne veut
pas croire, ce qu’il ne veut pas entendre. Par ailleurs, les choses sont si
difficiles à dire. On étouffe de ne pas pouvoir s’exprimer, de ne pas pouvoir
se libérer de ne pas évacuer ce stress accumulé qui refait surface.
Alors
j’ai écrit, seul moyen d’évacuer, seule assistance psychologique que j’ai pu
m’inventer. Mon père avait eu une personne pour l’écouter : moi, cinquante ans
après les faits. Il a raconté le choc des combats qu’il a livré en mai 40 et le
carnage qui s’en ait suivi, à moi, seulement à moi. Ni mon frère, ni ma mère ni
ma sœur ne savaient rien. Il n’avait jamais essayé de leur parler, parce qu’il
savait qu’il n’aurait pas leur écoute. Mais avec moi, il a eu confiance.
Pour
mon cas, ce fut très différent. J’ai tout d’abord essayé, verbalement, mais je
n’ai rencontré que négation, fuite, envie de ne pas savoir. Quand j’ai fini
d’écrire mon histoire, ils ne l’ont pas lue, ils n’ont pas voulu. Mes proches
ne savent finalement rien de ce que j’ai vécu.
Sur
mon clavier, je tourne également autour du pot ; je n’ose pas dire l’extrait de
ma vie, que mon cauchemar m’a fait revivre. Cela serait tellement traîné dans
la boue par certains. Article par article, cette période de ma vie y est
publiée. Nécessairement l’objet de mon cauchemar aussi et passe inaperçu comme
un simple texte, une simple action, une simple autodéfense, une simple question
de survie, légitime, logique, incontournable…
Et
pourtant je l’ai très mal vécu et si j’ai pu l’écrire en 2006, je crois que je
ne veux pas à nouveau parler de ce moment aujourd’hui, parce que le monde ne
veut pas entendre ni comprendre ce qu’il veut ignorer ou même ce qui pourrait
salir de son arrogante certitude ou entamer son indifférence.
Finalement,
Pourquoi viens-je d'écrire ce texte ? Parce qu’il y a eu ce cauchemar, que je
n’avais pas eu depuis longtemps, parce que je voulais m’en libérer à nouveau
sans toutefois réussir à aller jusqu’au bout…
C’est
débile, ça ne sert à rien, à quoi bon ?
Si
! Cela va mieux quand même. Cela libère telle une soupape.
Après
tout, je n’ai pas subi de bombardement comme mon père, je n’ai pas vu mes
camarades se faire massacrer. Je n’ai qu’un petit traumatisme, finalement. De
quoi me plaindrais-je ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire