Ecrit le 4 mai 2009
Il
me faut laisser une nouvelle trace formelle, de cet homme formidable qui
a rempli mon enfance…
Nous
sommes allés à Saïgon de 1954 à 1955.
Terre
colonisée par les blancs, où la
France et l’Indochine ont cohabités dans un rapport de
dominant à dominé…
Certes,
bon nombre de fonctionnaires de l’administration coloniale s’acquittaient de
leur tâche, sans animosité envers les autochtones. Certes, bien des religieux
et des hommes de bonne volonté ont contribué à la compréhension mutuelle des
deux peuples.
Mais
dans un pays où la couverture sociale était l’apanage des colons, dans un pays
où les petits chefs Français, devenaient soudain des contremaîtres avec des
pouvoirs illimités, dans un pays, où l’accaparation des richesses se faisait
sans vergogne, la morgue de certains a précipité l’indépendance.
L’arrogance
de cette grosse minorité de blancs, minables en France, devenus tout-puissants
en Indochine, certains d’une légitimité, que la démocratie à deux vitesses leur
accordait implicitement, a mené cette région comme toutes les autres à la
haine, au rejet et à la guerre.
Les
chantiers navals de Saïgon n’échappaient pas à cette règle de domination.
Les
coques des bateaux mis en cale sèche, étaient calfatées et repeintes sur un
budget défini par la société Denis-Frères, par des équipes de coolies aux
ordres de contremaîtres qui empochaient parfois négligemment une partie des
payes destinées à leurs « esclaves ».
Ces
chefs au pouvoir divin allaient au cinéma, à la piscine ou pratiquer le tennis,
laissant à un cabot (caporal), c'est-à-dire un coolie un peu moins mal payé, la
responsabilité du chantier…
Ils
venaient chaque vendredi soir distribuer la paye, avec toujours quelques griefs
fallacieux, permettant de réduire le montant de l’aumône versée en liquide.
Un
homme, n’a pas voulu entrer dans ce système arbitraire. Partant du budget
alloué par l’entreprise de carénage, il faisait bloquer 20%, en provision dans
la caisse de l’entreprise, avec plusieurs coolies représentants leurs collègues
comme témoins visuels.
Puis
il annonçait à son équipe, combien d’argent ils allaient toucher chacun (sans
absence), pour l’ensemble du travail exécuté dans les règles de l’art.
Ses
équipes furent rapidement celles qui exécutaient le meilleur travail, dans des
délais records et qui gagnaient le plus de tout l’arsenal.
Quand
au 20% ? C’était le système de « sécurité sociale », que cet
homme avait improvisé. Quand un ouvrier était malade ou blessé et bien évidemment
sans revenu, ce contremaître allait porter généralement à la femme ou à la
famille du coolie, un peu de cet argent de la cagnotte, pour subvenir aux
besoins et aux soins.
Il
poussa, ce processus plus loin, lorsqu’il s’aperçu que la majorité des ouvriers
dépensaient leur paye dès le vendredi soir en beuverie et au jeu…
Pour
les coolies mariés, il versât alors la paye à leurs épouses, qui en faisaient
meilleure gestion…
Ce
contremaître était aimé de ses ouvriers et en voici la preuve…
Harcelé pour ses procédés anticonformistes et poursuivi par la jalousie haineuse de ses pairs, il
quitta l’arsenal pour une place de gérant des cinémas de Saïgon, dont son demi-frère Léon était le propriétaire. La partie
dangereuse de ce métier était le transport quotidien des recettes vers la
banque.
Un
jour ce qui devait arriver, arriva… Porteur d’une grosse recette, cerné par une
cinquantaine de coolies, matraque en main, il se préparait à vendre chèrement
sa peau…
Quand
soudain, un de ses nombreux ex-employés de l’arsenal passa par là. Celui-ci
s’adressa à la meute d’assaillants et leur dit simplement : « Lui,
chef très bon avec nous et très juste ! ».
En
quelques secondes la ruelle fut déserte et mon père acquis davantage de
renommée et de sécurité… Oui ! L’homme dont je parle… était mon père… Un
homme sensible, fort, juste, intègre et surtout humain…
Il
avait compris que ce peuple en souffrance n’était pas sauvage et barbare, mais
reconnaissant et sentimental, pour peu qu’on lui accordât un peu de dignité et
d’intérêt !
Si
nos « colons » avaient eu le dixième de cette humanité,
l’indépendance se serait déroulée sans violence, dans la paix et la
coopération…
Mais
le genre humain est ainsi fait, qu’il génère la violence par son iniquité et
son dédain…
C'est un autre épisode de la vie de mon père,
ce héros de l’ombre, mais qui sera pour toujours dans la lumière de mon
cœur !
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