Écrit le 17 février 2014
Lorsque
mon père est parti à la retraite, il a très mal vécu cette étape. Il perdit sa
force physique très rapidement.
Un
jour, sa moto tomba. Il ne parvint pas à la relever sans l’aide de ses
collègues de pétanque. Il en éprouvât une telle honte, que le lendemain il alla
vendre son bolide à deux roues.
Il
perdit aussi sa force psychique.
J’avais
alors la trentaine et si je comprenais ce qui lui arrivait, je me jurais bien
que je serai plus philosophe que lui et que je vivrai mieux que lui ce passage
obligé.
Hélas,
il n’en fut rien. On a beau se dire qu’on ne peut pas être et avoir été, qu’on
savait tout cela d’avance, on ne parvient pas pour autant à échapper à ce
traumatisme.
J'explique
:
La
retraite est un moment de changement de rythme de vie où l’humain peut perdre
en gratification sociale : c'est donc une phase de grande vulnérabilité.
La
perte du statut social et des relations professionnelles consécutive à la prise
de retraite peut provoquer un traumatisme si la personne ne recrée pas des
rapports sociaux.
Mon
travail était dans une région, ma maison dans une autre, sorte de maison
dortoir dans une région de cons conservateurs ploucs (double pléonasme). Il est
impossible de tisser des liens avec une population que je trouve aussi infecte,
dans un cadre aussi vide et aussi peu attractif. Mais ça, j'aurais du
l'appréhender bien avant , malheureusement je ne l'ai pas fait.
De
plus, la perte de revenus amène des soucis inextricables et l’aliénation de ma
liberté.
Nota
bene :
Inversement,
beaucoup de travailleurs échappent plus souvent à ce syndrome :
-
Soit, parce que leur rythme de vie de travail leur a laissé le temps d’avoir
une vie sociale qui perdure lors de la prise de retraite et a sauvegardé
l’entièreté de leurs capacités. On voit ainsi des retraités se mettre à
travailler au black, tellement pleins de l’énergie économisée pendant toute
leur vie précédente.
-
Soit parce la quantité de stress subi passivement au travail, cesse au moment
de la prise de retraite. On voit alors des retraités devenir en meilleure santé
psychique et également physique, puisque les maladies étaient souvent
psychosomatiques.
Il
ne faudrait jamais se donner à fond dans un travail dont on attend tout et qui
est tout pour nous.
J'ai
bien compris que ce choc affectif majeur de la rupture, ce déclin des capacités
physiques, intellectuelles, ces disgrâces physiques, suscitent un sentiment de
perte, des blessures narcissiques, un traumatisme psychologique et génèrent une
dépression entraînant la résignation progressive à notre propre mort.
Je cite des statistiques :
«
10 à 15 % des personnes âgées de plus de 65 ans souffrent de dépression,
20
% des plus de 75 ans souffrent de dépression majeure.
Fréquente
chez les jeunes retraités, la dépression est souvent ignorée des proches et
sous-estimée par le médecin, ce qui explique le fort taux de suicide au
troisième âge :
En
France : un taux de 50 pour 100 000 habitants parmi les hommes âgés de 65 à 74
ans,
Avec
ce taux, la France
se situe au 2e rang en Europe, derrière l'Autriche (55 pour 100 000 habitants).
En
constante augmentation dans les pays développés, le suicide des personnes âgées
représente environ 1/3 des suicides. »
Je
reviens à mon sujet :
Ce
n'est pas parce que je savais et que je comprenais le mal dont je souffrais,
que j'ai pu y échapper. Le seul moyen aurait été que je puisse y porter remède.
Il m'aurait fallu trouver une solution, bâtir un projet, mais surtout essayer
de retrouver suffisamment de ce courage, de cette combativité qui furent les
miens et qui avaient disparu. J'ai bien cherché. Je n'ai pas trouvé. Tout
m'emprisonnait, l'environnement, l'argent, moi-même.
Je
subissais, subissais, subissais, chose que je n'avais jamais faite auparavant.
Ce renoncement forcé rajoutait au mal qui me rongeait...
Aujourd'hui
je comprends mon père, parce que je vis ce qu'il a vécu. Aujourd'hui, je suis
sorti de cette révolte contre la vieillesse... mais le présent et l'avenir
n'ont plus d'attrait ! La vie n'est plus qu'un mal, au mieux nécessaire, au
pire transitoire...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire