Propos de Michel Aubouin (ancien préfet). Avril
2020
Extraits :
Je
ne suis pas surpris de ce qui se passe dans les banlieues. J’avais dit alors
que tout était calme, que la tension allait grimper dans les « quartiers
sensibles ». L’ambiance y est toujours éruptive et la moindre étincelle
suffit à déclencher des flambées de violences.
On
ne pouvait appliquer le confinement de la même manière qu’en y consacrant des
effectifs supplémentaires, car la frange de leurs habitants qui alimente
l’actualité de la violence […] avait peu de raisons de se confiner spontanément
[…] l’individu n’existe pas en dehors du groupe. Il ne faut pas compter sur la
presse […] pour relayer les messages, dès lors qu’aucun d’entre eux ne suit
l’actualité. […] On ne pourrait contrôler les déplacements partout de la même
façon, soit pour des raisons juridiques (les espaces internes aux quartiers ne
relèvent pas du domaine public), soit parce que les contrôles d’identité sont
difficiles à appliquer dans les secteurs où les patrouilles à pied sont
prohibées.
Cette
situation était très prévisible. […] La limitation des déplacements coupe les
vendeurs de cannabis, de cocaïne et de ses dérivés de leur clientèle, mais
aussi de leur approvisionnement. Et tous les autres crimes sont empêchés pour
la même raison. […]
Christophe
Castaner est allé jusqu’à trouver des excuses aux fauteurs de troubles. Il
était difficile pour Castaner d’admettre que la situation était grave et qu’il
ignorait comment la résoudre. Une grande partie de la presse s’est persuadée
que les violences naissent de provocations policières. Le ministère sait qu’il
n’a pas les moyens de tenir ces quartiers et d’y ramener la paix en cas de
contagion des émeutes. Comme depuis les années 90, tout acte de la police est
interprété comme une agression du milieu local, il préfère lui donner l’ordre
de se monter discrète. C’est d’autant plus facile à faire que toute l’activité
judiciaire est à l’arrêt, qu’il n’est donc pas nécessaire de poursuivre les
enquêtes et que la libération massive de prisonniers de droit commun a
ramené dans leurs quartiers les plus déterminés des chefs de bande.
[…]
le confinement serait plus difficile à vivre en HLM. Ces gens là
oublient que plus de la moitié des Français vivent en appartement et que la
dimension moyenne d’un appartement aux normes HLM est plutôt plus grande que
celle d’un appartement classique.
Si
la vie dans les quartiers est plus difficile, c’est parce qu’une grande partie
des commerces de proximité a été chassée par la délinquance. Pour le reste, les
difficultés sont les mêmes partout, sachant que les plus pauvres de nos
compatriotes n’ont souvent pas les ressources suffisantes pour prétendre à un
logement social.
Nous
ne devons de connaitre les guets-apens qu’aux vidéos que les jeunes des
quartiers diffusent sur les réseaux sociaux. L’attaque de la police ou des
pompiers génère une forme d’héroïsation. Le code des valeurs qui règne dans les
marges de la société n’est pas le nôtre. Depuis 2005, les émeutes sont
contagieuses […] il est rare qu’un individu soit condamné pour des actes de
violence collective, non couverts par les assurances.
Les
bandes refusent que l’on entre sur leur territoire. Elles l’ont transformé en
un espace hors la loi […]. Leurs premières victimes sont les habitants du
quartier eux-mêmes, dont le quotidien est devenu un enfer. […]. Ce sont des
centaines de milliers de personnes que les pouvoirs publics abandonnent à la
loi des voyous.
La
police nationale n’a pas les moyens de s’opposer à la violence des quartiers.
[…] L’armée patrouille dans les centres-villes et personne ne trouve rien à
y objecter. […] elle pourrait utilement épauler une force civile dépassée par
l’ampleur des menaces, dans une période très particulière où toutes les
énergies doivent être concentrées sur l’éradication de la pandémie.
[…]
Au-delà, le traitement différencié des quartiers où vit un dixième de la
population Française, creuse encore un peu plus le fossé entre les territoires
juridiques, ceux où le droit s’applique dans toute sa sévérité et ceux où le
laxisme prévaut.
Ceux
où l’on peu payer 135 euros pour être allé à la boulangerie sans son
attestation, où l’on est interdit de promenade dans les espaces forestiers et
ceux où les rassemblements ne sont pas sanctionnés, où l’on peut continuer à
narguer la police en circulant sans casque. Ce clivage met en péril tout le
pays […].
Surtout,
à terme, cette logique du deux poids deux mesures va fracturer encore davantage
la société française. Quand le point de rupture sera atteint, il sera un peu
tard pour trouver des solutions.
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