vendredi 15 mai 2020

Des centaines de milliers de personnes sont abandonnées à la loi des racailles



Propos de Michel Aubouin (ancien préfet).  Avril 2020

Extraits :

Je ne suis pas surpris de ce qui se passe dans les banlieues. J’avais dit alors que tout était calme, que la tension allait grimper dans les « quartiers sensibles ». L’ambiance y est toujours éruptive et la moindre étincelle suffit à déclencher des flambées de violences.

On ne pouvait appliquer le confinement de la même manière qu’en y consacrant des effectifs supplémentaires, car la frange de leurs habitants qui alimente l’actualité de la violence […] avait peu de raisons de se confiner spontanément […] l’individu n’existe pas en dehors du groupe. Il ne faut pas compter sur la presse […] pour relayer les messages, dès lors qu’aucun d’entre eux ne suit l’actualité. […] On ne pourrait contrôler les déplacements partout de la même façon, soit pour des raisons juridiques (les espaces internes aux quartiers ne relèvent pas du domaine public), soit parce que les contrôles d’identité sont difficiles à appliquer dans les secteurs où les patrouilles à pied sont prohibées.

Cette situation était très prévisible. […] La limitation des déplacements coupe les vendeurs de cannabis, de cocaïne et de ses dérivés de leur clientèle, mais aussi de leur approvisionnement. Et tous les autres crimes sont empêchés pour la même raison. […]

Christophe Castaner est allé jusqu’à trouver des excuses aux fauteurs de troubles. Il était difficile pour Castaner d’admettre que la situation était grave et qu’il ignorait comment la résoudre. Une grande partie de la presse s’est persuadée que les violences naissent de provocations policières. Le ministère sait qu’il n’a pas les moyens de tenir ces quartiers et d’y ramener la paix en cas de contagion des émeutes. Comme depuis les années 90, tout acte de la police est interprété comme une agression du milieu local, il préfère lui donner l’ordre de se monter discrète. C’est d’autant plus facile à faire que toute l’activité judiciaire est à l’arrêt, qu’il n’est donc pas nécessaire de poursuivre les enquêtes et que la libération massive de prisonniers de droit commun a ramené dans leurs quartiers les plus déterminés des chefs de bande.

[…] le confinement serait plus difficile à vivre en HLM. Ces gens là oublient que plus de la moitié des Français vivent en appartement et que la dimension moyenne d’un appartement aux normes HLM est plutôt plus grande que celle d’un appartement classique.
Si la vie dans les quartiers est plus difficile, c’est parce qu’une grande partie des commerces de proximité a été chassée par la délinquance. Pour le reste, les difficultés sont les mêmes partout, sachant que les plus pauvres de nos compatriotes n’ont souvent pas les ressources suffisantes pour prétendre à un logement social.

Nous ne devons de connaitre les guets-apens qu’aux vidéos que les jeunes des quartiers diffusent sur les réseaux sociaux. L’attaque de la police ou des pompiers génère une forme d’héroïsation. Le code des valeurs qui règne dans les marges de la société n’est pas le nôtre. Depuis 2005, les émeutes sont contagieuses […] il est rare qu’un individu soit condamné pour des actes de violence collective, non couverts par les assurances.

Les bandes refusent que l’on entre sur leur territoire. Elles l’ont transformé en un espace hors la loi […]. Leurs premières victimes sont les habitants du quartier eux-mêmes, dont le quotidien est devenu un enfer. […]. Ce sont des centaines de milliers de personnes que les pouvoirs publics abandonnent à la loi des voyous.

La police nationale n’a pas les moyens de s’opposer à la violence des quartiers. […] L’armée patrouille dans les centres-villes et personne ne trouve rien à y objecter. […] elle pourrait utilement épauler une force civile dépassée par l’ampleur des menaces, dans une période très particulière où toutes les énergies doivent être concentrées sur l’éradication de la pandémie.

[…] Au-delà, le traitement différencié des quartiers où vit un dixième de la population Française, creuse encore un peu plus le fossé entre les territoires juridiques, ceux où le droit s’applique dans toute sa sévérité et ceux où le laxisme prévaut.
Ceux où l’on peu payer 135 euros pour être allé à la boulangerie sans son attestation, où l’on est interdit de promenade dans les espaces forestiers et ceux où les rassemblements ne sont pas sanctionnés, où l’on peut continuer à narguer la police en circulant sans casque. Ce clivage met en péril tout le pays […].
Surtout, à terme, cette logique du deux poids deux mesures va fracturer encore davantage la société française. Quand le point de rupture sera atteint, il sera un peu tard pour trouver des solutions.
 

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