Écrit en 2007
Je crois que je tremble de tous
mes membres, que j’ai froid, que je grelotte… En même temps, je suis trempé de
sueur.
Les sacrifiés.
Il n’est plus de bonheur, il
n’est plus d’espoir. La vie les effaçait en même temps que la vie s’effaçait
elle-même, dans un élan morbide d'autodestruction.
Et le bout du tunnel était
toujours devant.
On les voyait arriver harassés,
hirsutes, couverts de boue, sales…
Ils passaient devant nous. Les
plus jeunes, trop tôt arrachés à l’enfance, avaient le regard terrifié, de ceux
qui ont vu la mort en face.
A les regarder, nous éprouvions
un sentiment d’angoisse grandissant.
Au loin le fracas des canons se
rapprochait sournoisement, mais sûrement.
L’horizon rougeoyait et nous envoyait
d’âcres fumées, teintées de l’odeur de cette mort qui venait vers nous.
Un instant nous crûmes que la
guerre s’éloignait alors que le fracas s’apaisait. Mais tout n’était que répit
fallacieux. Les longues cohortes des soldats étaient derrière nous. Maintenant
il n’y avait qu’un espace de temps et de distance entre l’ennemi et nous.
Certains grillaient, en la
savourant, leur dernière cigarette. D’autres, fébriles, remontaient le
mécanisme de leur arme après l’avoir soigneusement nettoyé.
Je me penchais en arrière pour
laisser couler sur ma langue, la dernière goutte de ce flacon de Cognac. Trop
vite fini.
Probablement comme notre destin
qui allait s’achever. Nous savions que les forces de la coalition étaient
colossales. Chacun de nous comprenait que ses heures étaient comptées.
Derrière le mur, j’entends passer
les hordes sauvages.
Il fait jour, il fait nuit, je ne
sais pas. Une odeur âcre flotte sur la ville en flamme. Une odeur de chair
calcinée et de toutes matières enflammées qui prend à la gorge et se répand sur
les campagnes où les moissons brûlent, elles aussi. La fumée est si dense
qu’elle obscurcit le ciel.
Combien reste-t-il d’entre
nous ?
Je pense un instant à ces nuées
ardentes qui effacèrent Pompéi et Saint Pierre. J’envie cette mort si rapide
que des milliers d’humains avaient eu.
Nous, cela fait des mois que nous
battons en retraite. Cela fait des mois que nous perdons, bataille après
corps-à-corps, escarmouche après embuscade, tous les combats que nous livrons.
Certes nous avons infligés de lourdes pertes aux forces de la coalition. Mais
ils sont si nombreux que le rapport de force est de plus en plus en leur
faveur.
Ils ont constamment des troupes
fraiches, nombreuses, bien équipées, pour assurer la relève. Nos troupes sont
décimées, fatiguées, démoralisées. Nous commençons à manquer de munitions. Les
manufactures d’armes ont été prises par l’ennemi. Il ne reste que quelques
dépôts cachés. Si un de nos hommes tombe entre leurs mains, nous tâchons de
l’abattre afin qu’il ne révèle le secret de nos maigres réserves.
Ma gélule de cyanure à
la main, j’attends fébrilement, alors que passent à quelques mètres de moi, des
ennemis pressés d’en finir avec nous. Si je suis découvert, je sais ce qu’il me
reste à faire. J’ai peur. J’ai très peur. Je regarde tout autour de moi. Il ne s’agirait pas que
l’on m’attrape vivant. Je sais que je ne résisterai pas à la torture et j’ai
très peur de la souffrance qu’ils pourraient m’infliger. J’ai peur de mourir
aussi, mais le cyanure sera le moindre mal
Ce mois d’Août sera mon dernier
été, sera le dernier été pour moi, pour mes camarades, pour tous ceux que
j’aime. Je n’aurai pas été capable de protéger ma famille…
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