Historien affûté, observateur précis, portraitiste redoutable, Patrick Rambaud constitue depuis dix ans une histoire satirique de la Ve République. Dans son nouveau livre, il pressent la montée des « orages ».
26/01/2019 à
6h00 entretien ZOOM
Patrick Rambaud
Membre de l’Académie Goncourt. Prix Goncourt 1997.
Vient de publier Emmanuel le
Magnifique (Grasset)
Dans votre livre, vous évoquez par avance les
« orages » à venir pour le quinquennat d’Emmanuel Macron.
Sentiez-vous venir le mouvement des gilets jaunes ?
Patrick Rambaud : Oui, d’une certaine façon. Emmanuel Macron était
auréolé de sa jeunesse, de sa prestance, de son dynamisme. Le pays l’observait
avec confiance et bienveillance. Il était le plus jeune président de la
République, le premier élu grâce à Internet. C’est aussi le moyen de ralliement
dont se servent les gilets jaunes. Il y a bien des similitudes entre eux. Lui,
comme eux, ont cassé et balayé les partis. Quand les gilets jaunes surgissent,
le vent de folie qui secoue le pays lui met tout sur le dos, la suite d’erreurs
et de mauvaise gestion depuis quarante ans. Il paie pour tous ses
prédécesseurs.
Pourquoi ce revirement aussi subit ?
P. R. : Emmanuel
Macron accumulait les succès. Il avait trop de chance. Il le paie aujourd’hui.
L’affaire Benalla a été le déclencheur de cette violente disgrâce. Soudain,
tout s’est retourné. Tout, chez lui, est devenu négatif. À la faveur de cette
défaveur, ses adversaires essaient de remonter mais n’y arrivent pas. Quand
Macron évoque « les Gaulois réfractaires », expression
qui renvoie au personnage d’Astérix, on le traite d’arrogant. Il ne l’est pas.
C’est seulement un énarque plus malin que la moyenne. Voilà un homme à qui tout
a réussi, qui n’a pas connu d’obstacles. On ne le lui pardonne pas. Il a grandi
dans les livres, vécu une existence protégée, cherchant la compagnie de
personnes plus âgées que lui. Un drôle de personnage. Un solitaire. Grand-père
avant d’être père. Son histoire d’amour avec une femme mariée, en province où
tout le monde se surveille, l’élève qui part avec la maîtresse, suscite
évidemment réprobation et jalousie. Il a reproduit les schémas classiques des
romans du XIXe siècle. En cela, c’est un héros de Stendhal et
de Flaubert, le frère de Julien Sorel (Le Rouge et le Noir) et de
Frédéric Moreau (L’Éducation sentimentale).
Vous qualifiez son éducation et son comportement de
jésuite. En quoi ?
P. R. : Emmanuel
Macron n’est pas un homme d’argent. Il veut juste réussir et convaincre,
ramener à soi les foules, les évangéliser. Comme les jésuites qui l’ont formé à
Amiens. D’où l’ambivalence de son « en même temps », bienveillant et
autoritaire.
Pourquoi ces orages si soudains, si violents ?
P. R. :
Les failles sont vite apparues. Il est passé, d’un coup, de l’horizontalité de
sa campagne à la verticalité du pouvoir. Dès l’annonce de sa candidature, il
file à la cathédrale de Saint-Denis se recueillir devant les gisants de la
royauté. Féru de symboles, il fête son anniversaire à Chambord. Il avait réussi
à faire passer les réformes sans trop de casse, comme celle de la SNCF, malgré
quelques grognements. Il était fondé à croire que ça pouvait continuer. Mais la
grogne, devenue révolte avec les gilets jaunes, couve depuis quarante ans. Elle
tombe sur lui. Ses atouts sont devenus des poids. On lui reproche ce qu’on lui
pardonnait.
Comment est-on passé de l’admiration à la haine ?
P. R. : Deux
sentiments extrêmes, dans les deux cas. Un retournement aussi soudain est très
rare. Emmanuel Macron subit le régime des montagnes russes. Il ne jouit de
l’effet Coupe du monde que pendant deux jours. Puis éclate l’affaire Benalla.
Il fait venir les leaders du monde entier devant l’Arc de triomphe. Deux
semaines plus tard, le monument est saccagé et les Champs-Élysées vandalisés.
Quelle singularité discernez-vous dans le mouvement
des gilets jaunes ?
P. R. :
Ce sont les premières émeutes parisiennes sans Parisiens. Les premières aussi
qui se déroulent le week-end. D’habitude, elles cessent en fin de semaine. Ce
mouvement sporadique et de fond ne ressemble à rien de connu. Invoquer la
colère ne suffit pas à l’expliquer. On peut comprendre la motivation de ceux
qui sont dans la mouise. Ils mobilisent aussi des moyens nouveaux, plus
brutaux, plus spontanés, qui accélèrent le temps et suppriment la réflexion. On
voit tout en direct. Le vrai et le faux se mélangent dans ce torrent d’informations
grotesques (douter de l’attentat de Strasbourg est terrifiant…) Le numérique
est un grand malheur. Je m’en préserve en n’ayant ni Internet, ni de réseaux
sociaux. On n’ose imaginer Internet au temps de la Collaboration…
Que pensez-vous de la forme de cette révolte et du
comportement des foules ?
P.R. :
Personne ne sait comment ça peut tourner. Les mauvais sentiments viennent de
loin. Ils sont très anciens. Déjà, la terreur a commencé à poindre, avec ces
ronds-points que ne peuvent franchir que ceux qui font allégeance, gilet jaune
sur le tableau de bord… Et je ne parle ni des insultes, ni des coups de poing.
La violence a toujours existé. Avant, c’était bien pire. Relisez Tacite. Elle
est plus douce qu’elle n’était. Que l’on songe aux massacres d’où nous venons.
Emmanuel Macron est-il un homme de pouvoir ou de
conquête ?
P.R. :
Assurément, un homme de conquête. Là, il est reparti en campagne. Et il est bon
dans cet exercice de reconquête de l’opinion. Mais il est seul.
Recueilli par Jean-Claude Raspiengeas
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