Par
Jacques Dion le 01 février 2019 sur Marianne.
Dans
un essai très documenté, le sociologue Manuel Boucher étudie la dérive
idéologique qui a mené à une approche ethnique des rapports sociaux et ses
conséquences.
Quand
on veut comprendre pourquoi la notion de « gauche » est devenue un concept
vide, on invoque souvent son ralliement à l'idéologie de marché, phénomène dont
on trouve les prémices au début du règne de François Mitterrand. C'est juste.
Mais on ne saurait oublier un autre aspect de la fracture idéologique ayant
balayé les héritiers supposés du mouvement ouvrier. Il s'agit de la
racialisation des rapports sociaux. Au fil des ans, l'analyse de classe a été
remplacée par une approche ethnique aussi caricaturale que dévastatrice. Manuel
Boucher, professeur à l'université de Perpignan, en dresse un tableau accablant
dans un livre intitulé la Gauche et la race. L'auteur se revendique lui-même de
la gauche, mais pas de n'importe laquelle. Il se réclame de la tradition des
Lumières et de la lutte contre toutes les formes d'aliénation au nom de la
promotion sociale, toutes choses qui lui paraissent désormais oubliées par
certains de ceux qui se réclament toujours de la gauche et de
l'anticapitalisme.
Pour
Manuel Boucher, la mondialisation néolibérale et le déclin de la classe
ouvrière ont débouché sur la naissance
d'une « gauche culturelle bien-pensante, culpabilisatrice et bourgeoise,
d'abord mobilisée sur les questions d'évolution des mœurs, d'écologie, de
féminisme et de migration ». Au nom d'un réflexe mémoriel culpabilisateur, les
minorités (raciales ou sexuelles) sont devenues les nouveaux « damnés de la
terre », en lieu et place des exploités d'antan. Ainsi est née une forme
d'identitarisme dit « décolonial » qui fait le pendant à l'identitarisme
d'extrême droite, au point d'en être la copie conforme mais à front renversé.
Sans vergogne
On
n’explique pas autrement la profusion de
ces groupuscules dits « anti-racistes ». En réalité, ils
décrivent la France comme une société d’apartheid comparable à l’Afrique du sud
raciste ou à l’Amérique esclavagiste. Ils
pratiquent une forme de racisme décomplexé à l’égard des « blancs »,
bouffent de la laïcité à longueur de colonne et encensent les dogmes les plus
éculés de l’Islam, sous prétexte qu’elle est la religion des pauvres. Les
prétendus « indigènes de la république » sont la forme la plus
caricaturale de cette dérive. Leur égérie, Houria Bouteldja, étale sans
vergogne un racisme antiblanc assumé, un antisémitisme qui ferait passer Alain
Soral pour un apôtre et une fascination pour l’islam qui la conduit à
diaboliser tout esprit se revendiquant de Voltaire.
Le
phénomène est d’autant plus inquiétant, que ce courant de (non) pensée se répand, à l’instar des Etats-Unis, comme
une traînée de poudre dans le milieu universitaire et dans l’intelligentsia se
réclamant de la gauche. C’est en son nom que sont apparus des « camps
d’été décoloniaux » interdits aux « non-racisés », autrement
dit : aux blancs, comme si la couleur de peau était un critère
d’appréciation scientifique validé. Jusqu’ici une telle approche était
l’apanage de l’extrême droite. Désormais
elle n’épargne pas des partis ou des mouvements se réclamant de la gauche, où
l’on trouve des personnalités refusant de se démarquer de Houria Bouteldja –
quand elles ne lui font pas allégeance idéologique. On ne citera pas de nom
pour ne pas faire de jaloux, mais le livre, fort documenté, constitue un
dossier à charge implacable.
Au
terme de son réquisitoire, Manuel Boucher écrit : « A l’instar de la période du front populaire,
où, dépassant leurs différence, toutes les forces de gauche se sont rassemblées
pour combattre le fascisme, aujourd’hui dans un autre contexte, celui de la
globalisation, il est temps que les gauches se réunissent à nouveau pour
combattre tous les fascimes et les antimouvements identitaires et racistes. »
Puisse son appel être entendu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire