jeudi 14 février 2019

A « Mediapart », une perquisition avortée et contestée

https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2019/02/05/a-mediapart-une-perquisition-avortee-et-contestee_5419417_3236.html

Mardi 5 février, Mediapart affiche une « une » de combat. Le site d’investigation fustige, depuis la veille, en gras et sur quatre colonnes, « la dérive autoritaire d’Emmanuel Macron ». Outre la loi controversée « anticasseurs » en discussion au Parlement, le site réagit à la tentative de perquisition dont il a fait l’objet, lundi en fin de matinée, après de nouvelles révélations sur l’ancien conseiller du président de la République, Alexandre Benalla. « Jamais, à “Mediapart”, nous n’avons eu de perquisition, même dans l’affaire Bettencourt », dénonce Fabrice Arfi, coresponsable des enquêtes du journal.

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Par cette procédure, à la légalité contestable, les autorités cherchent à s’attaquer au secret des sources, « protection de ceux qui nous alertent, de ceux qui nous permettent de révéler des faits d’intérêt public », a déclaré quelques heures après, lors d’une conférence de presse convoquée à la hâte, le fondateur et directeur de la publication, Edwy Plenel, qui, lors de la perquisition, se trouvait devant la 17e chambre correctionnelle de Paris dans le procès intenté par l’ancien homme politique écologiste, Denis Baupin, à Mediapart et France Inter. « C’est fou, ce pouvoir est fou », lâche-t-il.
Il était 11 h 10 quand deux magistrats du parquet, accompagnés d’enquêteurs, se sont présentés dans les locaux. La conférence de rédaction, où il a été question de la loi « anticasseurs » et des propos de M. Macron sur la presse prononcés jeudi 31 janvier devant un petit groupe de journalistes, vient de s’achever. Dans le cadre d’une enquête ouverte par le procureur de Paris, notamment pour atteinte à la vie privée, les magistrats entendent saisir des éléments liés aux enregistrements, publiés la semaine dernière par Mediapart, d’une conversation entre M. Benalla et Vincent Crase, ex-employé de La République en marche. Selon le site, l’échange a eu lieu le 26 juillet, quelques jours après que les deux hommes ont été mis en examen pour des violences sur des manifestants le 1er mai. Fabrice Arfi explique :
« Comme le droit nous y autorise, parce que c’est une enquête préliminaire, nous avons refusé la perquisition. Cette perquisition est une mise en danger majeure de nos sources. C’est une situation extravagante. Le procureur n’a pas exclu de revenir avec un mandat du juge des libertés et de la détention, qui rendrait la perquisition coercitive. »
Au droit de refuser la perquisition s’est ajouté dans la journée un second élément de contestation. En effet, on a appris qu’aucune plainte pour atteinte à la vie privée n’avait été déposée par Alexandre Benalla ou Vincent Crase. Or, cette absence rendrait l’enquête préliminaire – et donc la perquisition – illégale, le parquet ne pouvant agir de son propre chef.
Contacté, le parquet répond que l’enquête préliminaire est également ouverte pour « détention illicite d’appareils ou de dispositifs techniques de nature à permettre la réalisation d’interception de télécommunications ou de conversations ». Interrogé sur l’illégalité d’une procédure ouverte pour atteinte à la vie privée en l’absence de plainte, il cite une jurisprudence de la chambre criminelle du 31 janvier 2012, qui avait ouvert une exception, dans le cadre de l’affaire des enregistrements réalisés au domicile de Liliane Bettencourt – et déjà publiés par Mediapart. Toutefois, dans le cas cité, des plaintes avaient été déposées deux et trois jours après le début de l’enquête. Fabrice Arfi dénonce :
« Si on résume, nous avons donc un procureur qui ouvre une enquête pour atteinte à la vie privée, sans plainte, mais sur la foi d’un signalement d’un fantôme dont on ne sait rien et qui n’est pas cité ni entendu dans les bandes que nous avons révélées et, à l’abri de ce secret, pense pouvoir perquisitionner un journal sans mandat d’un juge des libertés et de la détention. »
Le parquet assure en effet avoir été « destinataire d’éléments ayant justifié l’ouverture d’une enquête préliminaire », mais refuse de donner plus de précisions.

« L’Etat autoritaire s’affole »

Pour le journaliste de Mediapart, cette tentative de perquisition « est d’autant plus folle » que, lundi matin, le site a donné son accord pour transmettre à la justice le contenu des enregistrements, en réponse à une réquisition émise dans le cadre d’une autre enquête, menée sur les violences du 1er-Mai. « Les enquêteurs sont intéressés par ces bandes, car M. Benalla semble notamment violer son contrôle judiciaire en rencontrant M. Crase. »
Dans un des extraits publiés, on entend l’ex-conseiller se targuer du soutien du président de la République, alors que l’« affaire » qui porte son nom a éclaté quelques jours plus tôt. « Truc de dingue, le patron [Emmanuel Macron], hier soir, il m’envoie un message, il me dit : “Tu vas les bouffer. Tu es plus fort qu’eux, c’est pour ça que je t’avais auprès de moi.” » Mediapart a aussi révélé qu’Alexandre Benalla s’est intéressé de très près à un contrat noué par son ami Vincent Crase avec l’homme d’affaires russe Iskander Makhmudov.

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Lundi et mardi, l’opposition a commencé à réagir à la perquisition à Mediapart : « L’Etat autoritaire s’affole », a estimé le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui avait, lui aussi, contesté une perquisition à son domicile. « Cette affaire est incroyable, a dénoncé Benoît Hamon, le fondateur de Génération.s. Il y a tout un pan des libéraux qui, historiquement, n’ont jamais aimé les contre-pouvoirs : le peuple, la presse… Macron est dans cette ligne. » « Le pouvoir utilise les services de l’Etat à des fins politiques », a estimé Louis Aliot, député Rassemblement national des Pyrénées-Orientales, sur BFM-TV et RMC.

Pourquoi « Mediapart » a pu refuser une perquisition
Le site d’information Mediapart a refusé, lundi 4 février, une perquisition dans ses locaux dans le cadre d’une enquête sur la diffusion d’enregistrements de l’ex-homme de confiance d’Emmanuel Macron, Alexandre Benalla. « Le droit nous y autorise, parce que c’est une enquête préliminaire », a expliqué au Monde le journaliste Fabrice Arfi, représentant du site. En effet, dans le cadre d’une enquête préliminaire, l’assentiment de la personne visée est nécessaire pour mener la perquisition. Devant le refus de Mediapart, les deux procureurs et trois policiers qui s’étaient présentés ont donc dû repartir. Le parquet peut à présent demander un mandat du juge des libertés et de la détention pour rendre la perquisition obligatoire et coercitive. « Le procureur adjoint a mentionné cette possibilité lors de nos discussions », précise Mediapart dans un article.

 

 

 

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