Écrit par Michel Onfray suite à la conférence de
presse de Macron jeudi 25 avril 2019
Le Grand Débat de Macron, qui a duré six mois, a coûté
12 millions d’euros. Il avait été précédé par une annonce pour une fois tenue:
ce débat aura lieu, avait-il été dit, mais le cap ne changera pas. Pour une
fois qu’un président de la République honore sa parole, saluons son honnêteté.
Ce prétendu débat avec des interlocuteurs choisis et triés sur le volet par les
préfectures a bien eu lieu; il a généré des dizaines d’heures de monologues que
les chaînes d’informations ont diffusé et commenté avec gourmandise, idem avec
les quotidiens et les magazines qui s’en sont repu; aucune instance de
régulation genre Conseil Supérieur de l’Audiovisuel n’a imaginé une seule
seconde que ce temps de parole devrait entrer dans le décompte du temps alloué
aux partis lors de la campagne pour les élections européennes. Ce président qui
avait stigmatisé les présidence bavardes de ses prédécesseurs est en train de
les enfoncer comme jamais.
Tout ce barnum qui a éloigné le président de la
République de son bureau de travail pendant de longues semaines a eu lieu et,
après deux longues heures d’un interminable monologue narcissique présenté
comme une conférence de presse à même de faire un bilan de ces six mois, nous
en avons désormais bien la certitude: rien ne va changer, la direction est la
bonne, il faut continuer dans ce sens, et même accélérer le rythme. Le principe
étant que, si l’Europe (mot tabou pendant ces deux heures: normal, c’est le mot
du seul enjeu véritable…) déçoit c’est parce qu’il n’y a pas assez d’Europe,
dès lors il faut plus d’Europe encore. C’est aussi malin qu’un cancérologue qui
dirait à son patient souffrant de sa maladie qu’il lui faudrait plus de cancer
encore pour aller mieux…
J’ai annoncé la chose et je l’ai écrite plusieurs
fois, c’était facile de savoir que les choses se passeraient ainsi. Tout le
monde peut désormais le savoir: le Grand (sic) Débat était une affaire
d’enfumage pour calmer ceux des gilets-jaunes qui ont cru à cette opération de
communication. Je le répète: dans le cadre étroit de l’Etat maastrichtien,
Macron n’a pas d’autre choix que de maintenir le cap. Il le maintient. Junker
peut lui envoyer des roses rouges.
Cette conférence de presse, c’était en fait le chef de
la France d’en haut qui parlait aux domestiques de la France d’en haut pour
leur dire que cette même France d’en haut n’avait rien à craindre: le cap
maastrichtien allait être maintenu. Les gilets_jaunes disent-ils depuis des
semaines que pareille direction conduit aux vortex marins? Leur cas est vite
expédié par le jeune homme: "ce ne sera pas une réponse aux gilets-jaunes,
mais à tous les Français" -ce qui donne, traduit dans la langue qui
pourrait être celle de la meuf Ndiaye propulsée porte parole du gouvernement,
probablement pour son style fleuri et son art de la synthèse: "Virez
moi ces gueux, je n’ai rien à dire à ces connards, passons aux choses
sérieuses." Le plus honnête eut été de s’exprimer ainsi.
En effet, dès les premières minutes, les gilets-jaunes
ont été habillés par le président de la République avec ses crachats habituels:
homophobes, racistes, antisémites, complotistes, etc. Les médias ont
abondamment délayé ces vomissures depuis une demie année, on connaît désormais
très bien ces insultes qui passent pour un argumentaire -c’est ainsi que cet
homme à la pensée complexe se repose de trop penser et de penser trop haut.
Moins de cinq minutes après le début de cette sotie
-la sotie est une "farce satirique et allégorique du Moyen Âge, jouée par
des acteurs en costume de bouffon"- , les gilets-jaunes pouvaient éteindre
leur télévision, cette soirée ne serait pas la leur. Pendant des semaines ils
ont demandé un orage civique; Macron leur a offert une rosée médiatique et ce
fut un pissat de colibri.
"Nous sommes avant tout les enfants des
Lumières", a-t-il asséné, probablement après avoir pompé dans le Lagarde
& Michard -lui ou la Meuf. A l’écouter, rien n’était moins sûr… Tout dans
son intervention était brumeux et fumeux, fuligineux et vaporeux, en un mot:
ennuyeux. Rien de la drôlerie ironique de Voltaire, rien de la profonde
légèreté de Diderot, rien de la radicalité de Rousseau, rien de la pensée
élégante de Montesquieu, rien de l’espièglerie de La Mettrie, rien de la
profonde humanité d’Helvétius, rien de la puissance de d’Holbach. De Lumières,
il n’y en eut point, juste une veilleuse de nuit au pied du lit. Un colibri
vous dis-je. Lui qui, après avoir professé jadis que la culture française
n’existait pas, a changé de bord, et ça n’est pas la première fois, en parlant
de "cet art un peu particulier d’être français". Pour le coup, ce
soir-là comme tant d’autres, il n’a pas été un bien grand Français!
Il se peut qu’armé de cette loupiotte il n’ait pas vu
grand chose pendant son marathon dans la France rurale. Mais il fit bonne
figure et eut toutefois un air inspiré, comme madame Trogneux le lui a
probablement appris en jouant "Les Fourberies de Scapin" au lycée des
jésuites d’Amiens, un air profond, comme il est dit dans les didascalies des pièces
de théâtre du genre: "Ici on aura l’air grave." Après avoir ménagé un
silence pendant lequel il devait compter mentalement les secondes "une,
deux, trois -il a repris la parole et confessé ces propos d’un converti : il a
vu "l’épaisseur de la vie des gens". Tudieu! Le bougre est devenu
président de la République alors qu’il ignorait tout de l’épaisseur de la vie
des gens! Quel talent ce Scapin qui a eu besoin d’un tour de France à douze
millions d’euros pour apprendre ce qu’il aurait dû savoir depuis bien plus
longtemps que ça -disons: juste après son stage de l’ENA…
Après la conversion de Claudel derrière un pilier de
Notre-Dame, il faut désormais compter avec la conversion de Macron aux pieds
d’un pommier de Bourguignotte en Normandie! Il a vu "la France
profonde" comme l’auteur du "Partage de minuit" avait vu dieu.
Même si cette apparition parait plus modeste, elle mérite d’être marquée d’une
pierre blanche. Gageons qu’il en sortira une purification existentielle -c’est
du moins ce qui a été annoncé par l’impétrant.
Mais, dans ce tour de France par un seul enfant,
Emmanuel Macron n’a pas vu de gilets-jaunes. S’il ne les a pas vus, il ne les a
pas entendus non plus -il n’entend que les propos racistes, les propos
homophobes, les propos antisémites, etc, que lui rapportent, au choix, le
philosophe Castaner, ou le ministre de l’Intérieur BHL, sinon le comédien Luc
Ferry ou le penseur François Berléand. Mais ce peut-être aussi Alain Sloterdijk
ou Peter Badiou, je ne sais plus, les ennemis des gilets-jaunes ne manquent
pas…
Macron n’entend pas les gilets-jaunes, mais il leur
répond quand même: vous vouliez le référendum d’initiative citoyenne? Vous ne
l’aurez pas bandes de paltoquets! A la place, (il y a des mois que j’annonce
que la chose sera ainsi notifiée…), vous aurez l’élargissement du référendum
d’initiative partagée. Quèsaco? Un référendum par lequel on demande aux
parlementaires, dont les gilets-jaunes veulent faire l’économie, qu’ils en
envisagent la pertinence, la validité, la justesse, l’opportunité, puis de
décider, ou pas, de l’examiner au parlement, avant de le jeter à la poubelle!
Le tout est de savoir s’il sera envoyé à la déchetterie avant ou après l’examen
au parlement. Avec ce genre de dispositif, pas de crainte: aucun sujet de
société ne sera confié aux gueux, seuls leurs représentants pourront continuer
à les trahir. Peine de mort, avortement, contraception, immigration: laissez
tout ça aux gens sérieux bande de crétins.
Vous vouliez la démocratie directe? Vous ne l’aurez
pas bande de foutriquets! Et Macron de flatter les élus dans le sens du poil en
leur disant qu’une nouvelle décentralisation leur donnerait plus de pouvoir. On
a vu il y a peu que le chef de l’Etat a décidé de faire servir des petits
déjeuners à un euro dans les écoles de certaines communes tout en laissant aux
maires le soin de payer la plus grosse part, après qu’il leur ait supprimé les
rentrées d’argent comme les taxes d’habitation. Voilà le genre de pouvoir qu’on
va donner aux élus qui vont s’amuser en campagne à trouver de l’argent pour
payer les réformes décidées à Paris par Macron, le tout avec une caisse qu’il a
pris soin de vider au préalable! Vous en vouliez de la démocratie directe? En
voilà…
Vous vouliez la reconnaissance du vote blanc? Vous ne
l’aurez pas bande de freluquets! Voter c’est élire monsieur Machin ou madame
Bidule pour agir en votre nom et place, pas "monsieur Blanc" a dit le
président de la République qui a dû pour ce bon mot récolter le jus de cervelle
d’une cinquantaine d’énarques mis à la tâche pendant six mois pour obtenir ce
seul petit effet.
Vous vouliez le vote obligatoire? Vous ne l’aurez pas
bandes de demeurés! Pour la bonne et simple raison que c’est impossible de
faire payer une amende à ceux qui ne se déplaceraient pas, qui seraient si
nombreux, et qui trouveraient ainsi une occasion facile de passer pour des
rebelles.
Vous vouliez la retraite à soixante ans? Vous ne
l’aurez pas bande d’attardés! Ce fut un sommet de rouerie politicienne, de
sophistique et de rhétorique où il fut dit par Macron qu’il ne toucherait pas
aux 35 heures ni à l’âge légal du départ à la retraite, mais, mais, mais: que
ceux qui s’évertueraient à partir à soixante ans tout de même n’auraient pas
une retraite pleine, c’est-à-dire n’auraient quasi rien. A quoi il a ajouté
qu’il faudrait travailler plus pour gagner plus, le tout à négocier par branche
dans les entreprises. Ce qui donnait immédiatement cette contre-vérité dans un
bandeau passant de BFMTV: "Emmanuel Macron ne veut pas revenir sur les 35
heures, ni sur l’âge légal du départ à la retraite"- pour être juste, une
suite aurait du préciser: "mais vous travaillerez quand même plus
longtemps". Des millions de français sont au chômage, mais la solution
pour lutter contre c’est de faire travailler plus longtemps ceux qui
travaillent affirme le Président: "c’est du bon sens" a-t-il même
dit! Il me semble que le bons sens serait de partager le travail pour alléger
ceux qui en ont trop et souffrent de maladies professionnelles, en même temps
que de pourvoir ceux qui n’en ont pas et souffrent de leur inexistence sociale.
Vous vouliez restaurer l’impôt sur la fortune? Vous ne
l’aurez pas bande de gougnafiers! Cet impôt fait fuir les riches et appauvrit
le pays! "On a besoin de riches, sinon qui exploitera les pauvres",
aurait presque pu dire le président de la République s’il avait décidé de nous
livrer le fond de sa pensée ce soir-là. Que dit d’autre sa foireuse théorie du
ruissellement?
Vous vouliez un système de retraite solidaire
socialisé? Vous ne l’aurez pas bandes d’argoulets! Bien au contraire, vous
allez vous la payer avec un système de points, par capitalisation. Si vous n’en
avez pas les moyens, vous n’en aurez pas, c’est tout simple. C’est une version
en marche du fameux "salaud de pauvres!".
Vous vouliez la proportionnelle intégrale? Vous ne
l’aurez pas bande de tarés! Vous en aurez un peu, suffisamment, mais pas trop,
assez pour vous leurrer, mais pas trop pour nous empêcher de vous gruger. La
chose est voulue par le président de la République et, comme il faut bien
paraître gaullien de temps en temps, en vertu du principe que le président
préside et que le gouvernement gouverne -Macron confie en passant qu’il a relu
Michel Debré, quelle conscience professionnelle!-, le Premier ministre verra
pour l’intendance… Les ciseaux du ministre de l’Intérieur reprendront du
service et les circonscriptions seront taillées pour bien partager le gâteau
entre maastrichtiens de droite et maastrichtiens de gauche.
Vous vouliez une Constituante? Vous ne l’aurez pas
bande de paumés! En lieu et place d’une autre assemblée, on garde la même et on
la dégraisse un peu en réduisant le nombre d’élus. De combien demandera une
journaliste? Le chef évacuera la question de l’impertinente en disant que sa
valetaille gouvernementale verrait ces choses-là plus tard et en son temps.
Vous vouliez la fin de l’ENA? Vous ne l’aurez pas
bande de décérébrés! Mais, on annonce quand même que vous l’aurez pour mieux la
maintenir: en gros, on garde les locaux, on garde le personnel, donc les
enseignants, dès lors je vois mal dès lors comment ils pourraient y enseigner
autre chose et autrement que ce qui s’y trouve déjà enseigné, mais l’ENA
changera de nom parce qu’on va la refonder! Abracadabra…
Pour le reste des revendications des gilets-jaunes, il
n’en fut pas du tout question! Rappelons en quelques unes: loger les SDF;
modifier l’impôt; y assujettir les GAFA; augmenter le SMIC; mener une politique
en faveur des petits commerces en ville ou dans les bourgs; supprimer les taxes
sur les carburants; interdire les délocalisations pour protéger l’industrie
française; en finir avec le travail détaché; lisser les systèmes de sécurité
sociale; limiter le nombre des contrats à durée déterminée et augmenter le
nombre des contrats à durée indéterminée; activer une réelle politique
d’intégration des immigrés; mettre fin aux politiques d’austérité indexées sur
le remboursement de la dette; limiter le salaire maximum; encadrer les prix des
loyers; interdire la vente des biens nationaux; accorder des moyens à la police,
à la gendarmerie, à l’armée, à la justice; payer ou récupérer les heures
supplémentaires effectuées par les forces de l’ordre; réinstaurer un prix
public convenable du gaz et de l’électricité; maintenir les services publics en
activité; couper les indemnités présidentielles à vie – toutes choses
auxquelles je souscris. Le silence du chef de l’Etat sur ces questions dit
tout: vous n’aurez rien!
Quand fut venu le temps des questions, alors qu’on lui
demandait si cette conférence de presse annonçait un nouvel acte dans sa
politique, il a vrillé de la bouche, frisé des yeux, on a bien vu qu’il a
retenu son une idée parce probablement trop provocatrice; il s’est contenté de
récuser le mot -qu’il utilisera quand même plus tard…-, avant de dire qu’il était
préempté par les gilets-jaunes dans leur "gymnastique"- coup de pied
de l’âne…
Ensuite, dernière allusion aux gilets-jaunes, il fit
savoir qu’ils pouvaient bien continuer à brandir des pancartes
"longtemps" et que ça ne l’émouvait pas -on avait bien compris…
Puis, conclusion dans la conclusion, la métaphore de
la cathédrale détruite et à rebâtir fut convoquée. La Meuf a dû trouver
que rameuter l’incendie, c’était bon pour l’image. Pour un peu, Macron
nous aurait dit que, via Notre-Dame de Paris, la vierge Marie elle-même irait
voter pour sa liste aux prochaines élections européennes. Son staff n’a pas osé
aller jusque là, mais il s’en est fallu de peu…
Ce fut donc un très grand discours de campagne pour un
candidat qui aspire à devenir président de la République. Mais il faudrait
peut-être que quelqu’un dise à ce jeune homme -la Meuf peut-être?- que,
président de la République, il l’est déjà depuis deux ans et qu’il serait temps
qu’il s’en aperçoive. Le temps est passé du verbe, des mots, des paroles, de la
rhétorique, de la logorrhée, de la verbigération. Six mois de monologues avec
les moyens pharaoniques de la République pour un coût de 12 millions d’euros,
c’est un camouflet pour les gilets-jaunes qui aura décidément coûté bien cher.
Or, les camouflets restent rarement sans réponses. Leçon élémentaire
d’éthologie.
Michel Onfray
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