Paris Match | Publié le 19/01/2020 à 08h55 |Mis à jour
le 19/01/2020 à 10h50
Dans de multiples cités, les salafistes prennent peu à
peu possession des rues, des commerces, des écoles... Sous l’oeil inquiet de
nombreux musulmans.
Le groupe scolaire s’appelle Al-Andalus, du nom donné
à la péninsule ibérique sous domination musulmane. C’est aussi le nom qu’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) a choisi pour sa
filiale de communication sur Internet. Cette école privée à Saint-Denis, sous
la direction de l’association du Centre d’enseignement génération avenir
(Cega), est gérée par Mustapha Halloumi. L’imam salafiste, « défavorablement
connu » des services de renseignement, a été écarté de sa mosquée, en 2012, par
la mairie d’Epinay. Quatre ans plus tard, l’Education nationale lui a délivré
un agrément… Il est 16 h 30, les élèves commencent à sortir. Des fillettes voilées
courent vers des pères barbus. Ce n’est pas leur barbe – épaisse, longue,
parfois teinte au henné – ni leur qamis, longue tunique traditionnelle
affectionnée par les salafistes, qui inquiètent le plus, mais leur nombre : «
Quand on ne voit plus les mères, c’est qu’il y a un problème d’intégrisme
radical », nous explique-t-on.
Lire aussi:Reine Jeanne, la cité des salafistes
C’est cette islamisation des ghettos urbains, cette «
conquête » de l’islam par l’islamisme que dénonce Bernard Rougier, professeur à la
Sorbonne-Nouvelle et directeur du Centre des études arabes et orientales
(CEAO), dans « Les territoires conquis de l’islamisme » (éd. Puf). « Dans
certaines cités, on ne fume plus dans les rues, dénonce une habitante de
Saint-Denis. Plus jamais les femmes ne discutent entre elles en bas des
immeubles. Les couples ne se tiennent plus la main. On n’entend plus de
musique… » Les habitants se retrouvent quasi prisonniers de la « umma », la
communauté musulmane. A Trappes, toutes les boucheries sont halal. Même constat
dans le quartier de la cité de la Rose-des-Vents, à Aulnay-sous-Bois. Ce mardi
31 décembre, jour de marché, les températures sont glaciales, le ciel bleu vif
et les femmes voilées. Quelques-unes disparaissent sous le djilbab, qui montre
juste leur visage. Dans des effluves de menthe et d’agrumes, les allées sont
bordées de stands de vêtements amples, de voiles islamiques et de livres
religieux. Des hommes fument devant des bars bondés. A l’intérieur, pas de
femme. « L’accès ne leur est pas interdit, dira une Aulnaysienne, mais ici on
pense que les femmes n’ont rien à faire dans un café ! »
Rougier explique : « Dans les années 1980 et 1990, le
monde musulman a connu une révolution silencieuse avec le triomphe d’une
version salafiste de l’islam […]. Puis celle-ci s’est exportée. » En France,
notamment, où de nombreux militants du Groupe islamique armé (GIA) algérien se
sont réfugiés. Aujourd’hui, sur les quelque 4 millions de musulmans français
fidèles, environ 50 000 adhéreraient à cette mouvance qui développe une
approche littéraliste du Coran. Parmi eux, 12 000 seraient des intégristes
virulents : ils n’étaient que 5 000 en 2004. Discrètement, à la fin des années
1990, le salafisme s’est enraciné, a dicté ses règles, avec les notions de pur
et d’impur, de légal (halal) et d’illégal (haram). Des quartiers populaires,
déjà fragiles, se sont transformés en enclaves militantes, l’Etat a déserté,
les solidarités anciennes se sont volatilisées. « Les milieux salafistes ou
apparentés ont pris en charge les mécanismes de sociabilité longtemps
structurés par le Parti communiste », écrit Rougier. Des religieux jouent le
rôle de « grands frères », conseillers, banquiers, référents. Et, comme à la
grande mosquée de Sarcelles, limogent manu militari les réfractaires, souvent
âgés. Leurs proies : des jeunes oisifs, sans emploi, en rupture scolaire et
sociale, parfois délinquants.
Noam Anouar* est un ancien policier du renseignement
territorial en Seine-Saint-Denis. Pendant dix ans, il a alerté sa hiérarchie
sur la « montée spectaculaire et progressive du salafisme » dans le
département, précisant que « la plupart de ses adeptes sont pacifistes. […]
Mais le salafisme exècre toute collaboration avec une autorité autre que
théologique. Ses adeptes excluent la moindre forme d’expression républicaine,
du vote lors des élections à la scolarisation des enfants dans le public… »
Des prêches enregistrés par des cheikhs étrangers
alimentent les réseaux sociaux. Il y aurait encore plus d’une centaine de
mosquées salafistes en France. Certaines, équipées de brouilleurs pour déjouer
les écoutes. Cette année, l’imam de Champigny a encouragé le viol conjugal,
déclarant que « le devoir de la femme est de se soumettre au désir de son mari
», et expliquant que les violences conjugales chez les « mécréants » étaient
dues aux femmes qui se refusent à leurs maris, ce qui n’arrive pas avec les bonnes
musulmanes… Il n’a pas été inquiété. A Mantes-la-Jolie, Aubervilliers, Pantin,
les thèmes de l’islamophobie, des discriminations sont abordés avec
agressivité. On appelle à ne pas voter ni se soumettre aux lois, à ne pas se
mêler aux juifs, aux chrétiens, aux kouffars (les mécréants). Plus inquiétant,
selon les spécialistes : « Des leçons religieuses – des dars – inculquées en
petit comité. Ni publicité préalable ni affichage, on connaît leur existence
grâce au bouche-à-oreille. » Des cheikhs itinérants abordent les sujets tabous
: les « frères qui font le métier de chauffeur de taxi » ont-ils le droit de «
charger des femmes mal vêtues », voire de les « accompagner dans des lieux qui
sont interdits » ? On conseille de ne pas se raser la barbe, de ne pas se
laisser pousser la moustache, de ne pas s’habiller « comme eux » ni de célébrer
les fêtes chrétiennes ou les anniversaires… Ils sont français donc non
expulsables.
Les “fréristes” constituent des listes aux municipales, des groupes de pression pour instrumentaliser la justice, des associations de gauche…
Selon Noam Anouar, les recrutements dans les mosquées
sont rares. « C’est ailleurs qu’il faut chercher ! Dans les appartements, les
halls d’immeuble, les caves, les garages, les écoles coraniques clandestines,
les salles de sport… » Via leurs multiples associations, les islamistes
distribuent vêtements, nourriture. Sur les terrains de foot, ils offrent des
sodas, étendent leur toile dans les lycées, les universités. Mais restent en
dehors des mairies… Ils les laissent aux Frères musulmans qui, eux,
s’intéressent « à la conquête de l’espace politique institutionnel, explique
Bernard Rougier. Les “fréristes” constituent des listes aux municipales, des
groupes de pression pour instrumentaliser la justice, des associations de
gauche… Leur objectif, c’est la défense d’intérêts communautaires avec comme
horizon la transformation du groupe de pression en parti le moment venu. Ils se
réclament de la doctrine du “juste milieu”, qui se trouve entre deux abominations
équivalentes à leurs yeux : la laïcité d’un côté et le djihadisme de l’autre.
[…] Et veulent, par une participation prétendument citoyenne, modifier les
cultures politiques des Etats de l’Union européenne. »
En 2006, Mohamed Louizi, un ingénieur marocain,
ex-président des Etudiants musulmans de France, a quitté le mouvement qui
l’avait enrôlé à l’âge de 13 ans. Et publié « Plaidoyer pour un islam
apolitique » (éd. Michalon). « C’est les Frères qui vous choisissent, pas
l’inverse, nous raconte-t-il. Très vite, on exige que vous prêtiez allégeance à
l’idéologie. Votre patrie n’est plus la France ou le Maroc, c’est l’umma. Elle
est spirituelle, régie par un guide suprême à qui l’on doit obéissance et
soumission. Nos missions sont menées au nom de Dieu. Et Dieu nous regarde…
Imaginez cette pression psychologique écrasante pour un adolescent. On oublie
de penser. »
Beaucoup de subventions seraient distribuées à des associations culturelles organisant en réalité des activités cultuelles
Mohamed décrypte la stratégie d’islamisation globale
des Frères en Europe, révèle comment ils s’infiltrent à des postes
stratégiques, dans les entreprises ou les conseils municipaux. Des listes
communautaires se multiplient, des noms émergent, dont celui de Samy Debah,
professeur d’histoire-géographie et fondateur du Collectif contre
l’islamophobie en France (CCIF). A Garges-lès-Gonesse, dans le Val-d’Oise, il a
créé la surprise en arrivant au second tour des législatives avec 13,94 % de
voix. Aux municipales, il espère faire mieux. L’Union des démocrates musulmans
français (UDMF), qui se définit comme un « mouvement non confessionnel, laïque
et profondément républicain », convoite une cinquantaine de villes, dont
Montereau-Fault-Yonne, Mantes-la-Jolie, La Courneuve, Chanteloup-les-Vignes,
Villetaneuse, Les Mureaux. Dans le 17e bureau de Maubeuge, aux européennes en
2019, ils ont obtenu 40,94 %. Mais cette performance est à mettre en relation
avec un taux d’abstention de 77,14 %. Funeste crédulité ? Ou cynisme
électoraliste ?
Car « une partie de la gauche a dit aux islamistes :
“D’accord, on vous prend sur nos listes, on fait les accommodements nécessaires
avec vous.” », affirme Bernard Rougier. Ce que confirme une ancienne élue de
Cergy : « Leurs candidats ciblent des postes précis, essentiels pour conquérir
une ville. Comme les associations, les finances, l’urbanisme ou la petite
enfance. Les édiles cèdent aux exigences en échange de voix électorales. »
Beaucoup de subventions seraient distribuées à des associations culturelles
organisant en réalité des activités cultuelles. On prête des salles qui sont
transformées en lieux de culte, on cède des terrains avec des baux
emphytéotiques pour y construire des mosquées. Le 31 décembre 2015, le maire
d’Aulnay-sous-Bois prêtait un gymnase à Espérance musulmane de la jeunesse
française (EMJF). L’association a invité trois fondamentalistes,
pro-djihadistes, à prêcher devant 700 personnes… Autant d’électeurs ? A trois
mois des municipales, la bataille ne fait que commencer.
* Auteur de « La France doit savoir » (éd. Plon).
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