lundi 21 octobre 2019

L'endoctrinement (2)


Par Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherche au CNRS, associée au CEVIPOF, Sc po Paris. 3 février 2018


Le terreau fertile de la radicalisation


La radicalisation est donc un processus de rupture qui a pour but la transformation de soi et la transformation du monde, quels que soient les moyens pour y parvenir, y compris la violence jusqu’au terrorisme. Pour se développer, elle a besoin d’un terreau fertile qui réunit un ensemble d’éléments : la victimisation, le complotisme, le rejet des valeurs républicaines et de la laïcité.

1. La victimisation chez ceux qui se sentent peu reconnus, discriminés ou humiliés par la société, par l’école, favorise l’endoctrinement. Mais l’attitude victimaire est ambivalente : certains revendiquent d’être « stigmatisés » pour exister en renvoyant en miroir la culpabilité à « l’homme dominant », la responsabilité à la « société occidentale » ; d’autres, à l’inverse, cherchent le chemin initiatique du héros combattant. Les jeunes radicalisés rejettent la première attitude et la condescendance de ceux qui les assignent à une identité de « victimes de la société », ils veulent devenir des acteurs de leur vie. La question est alors posée du comportement des professionnels et des associatifs, qui, avec de bonnes intentions, entretiennent les images conjointes de l’exclusion et de la compassion. Le regard condescendant est jugé insupportable par les jeunes entrés dans un processus de radicalisation. Entre la bienveillance et le paternalisme, il n’y a qu’un pas. Celui qui possède le savoir, qui exerce le pouvoir, qui est bien « assis » et arbore son paternalisme, est honni - les « idiots utiles » n’ont pas compris que leur crainte de stigmatiser les jeunes des « quartiers » est ridiculisée et rejetée par ces mêmes jeunes. Et c’est là où se noue le lien avec la théorie du complot : « On vous ment », « Les choses ne sont pas telles qu’elles apparaissent » : les radicalisés se veulent des « chercheurs de vérité » pas des assistés.

2. Le recours fréquent à la « théorie du complot » est utilisé pour justifier la recherche d’une vérité qui serait « ailleurs », et révèlerait « les mensonges » des médias et des puissants. Le « complotisme » entretient une paranoïa qui favorise le projet d’actions destructrices et mortifères contre « une société du mensonge ». La violence devient alors une catharsis. Mais il permet aussi de se sentir distingué, « d’être dans le secret ». Le complotisme est fréquemment alimenté par un antisémitisme qui s’exprime avec virulence, mêlé à la dénonciation des illuminati, des banquiers, des francs-maçons, de la CIA…La récurrence des images archétypales du complot est étonnante. Elle rassure ceux qui ont été traités de « nuls » à l’école et qui se croient au dessus des lois. Désormais, ce sont eux qui sont dans le vrai ! Avec la théorie du complot, ils se distinguent des autres, arborent le savoir occulte et prédisent « l’avenir sombre d’un monde dépravé », « l’apocalypse ». « Ils savent, les autres sont ignorants ».

3. Le rejet du pluralisme des convictions, considéré comme de l’impiété, et de la laïcité, entendue comme une série d’interdits « islamophobes » font le lit de l’embrigadement. Celui-ci se veut la réponse à une série d’interrogations qui n’ont pas été entendues, à une quête de vérité qui n’a pas été satisfaite, à une initiation aux valeurs qui n’a pas été engagée. Cela s’accompagne fréquemment d’un discours sur la dégradation des mœurs, la corruption des politiques, la vanité de la société de consommation. Et les intellectuels, les élus, les éducateurs, qui se croient obligés de dénigrer systématiquement les valeurs de la République, pour prouver leur liberté de pensée et leur compassion à l’égard des « damnés de la terre », développent en fait le tapis rouge sous les pas des nouveaux dictateurs, à l’instar de la fin de la République de Weimar. Certains discouraient pendant qu’Hitler utilisait la propagande par l’image et le son, le symbolisme et les fantasmes.
 

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