La famille Denis, fondatrice de la maison Denis Frères, a, depuis le
début du XIXE siècle, été intimement engagée dans la vie maritime. Fils
d'un soldat de l'Empire installé à Blaye, Étienne Denis commence sa
carrière au commerce en embarquant pour des armateurs de Bordeaux aux
voyages des Indes, de la côte d'Afrique et du Pérou. Devenu capitaine,
il repart pour le Pacifique tenter une première expérience de liaison
commerciale avec Tahiti. Cette mission remplie augurait favorablement
d'une ligne du tour du monde touchant Tourane, Saïgon et la Réunion au
retour. Mais le projet, faute de financement. se réduisit à la partie
Europe Extrême-Orient, via Bonne-Espérance, voyages qu'Etienne Denis
assura huit années durant, de 1839 à 1847, sur le Superbe, avant de se
dédier à la création de comptoirs de commerce à Rio et au Callao.
Mais
en 1857, Saïgon venait d'être ouvert au commerce. Les Bordelais
avaient de ce pays une longue expérience. Étienne Denis fit aussitôt
construire le brick-goélette, La Mouette, qui appareilla pour
l'Extrême-Orient sous le commandement de son fils Gustave avec à bord,
Émile, son second fils. Arrivés à Saïgon en octobre 1862, les deux
frères y fondaient en novembre la maison qui porte leur nom.
Le riz
fut tout d'abord la principale activité de la maison Denis Frères. En
1863 Alfred Denis était venu rejoindre ses deux frères à Saïgon. Peu
après un premier voyage de poivre partait pour la France un chargement
de riz. Gustave s'installa à HongKong pour faciliter les relations
commerciales. Émile devint président de la Chambre de Commerce de
Saïgon. Enfin Alphonse, le frère cadet, arrivé en 1868, prit en 1879 la
relève de ses frères revenus en Europe. Une rizerie fut fondée en 1882
à Saïgon, puis l'année suivante, des filiales à Hanoï et Haïphong.
Enfin Alphonse Denis reviendra à son tour, laissant les affaires à un
directeur, des affaires dont le volume ira sans cesse croissant malgré
la concurrence anglaise et allemande.
C'est en 1923 qu'est fondée -
avec siège social 4, rue Catinat à Saïgon - la Compagnie Côtière de
l'Annam, destinée à relier entre eux les petits ports et à faciliter les
échanges entre la Cochinchine agricole, exportatrice de riz, et le
Tonkin minier. Un contrat avec les charbonnages du Tonkin permettait la
desserte en charbon de la côte et l'approvisionnement des chemins de
fer. Un contrat avec les salines alimentait les pêcheries du Golfe. Le
premier navire de la compagnie le Brésil, naufragé, fut remplacé par le
Balguerie Stuttenberg, du nom d'une vieille maison bordelaise installée
en Cochinchine bien avant Denis Frères. Mais ce ne fut qu'en 1939 que
la Compagnie Maritime prit son essor avec les deux 2 500 tpl, Tran Ninh
et Kontum, qui vinrent s'ajouter aux trois caboteurs existants : Francis
Garnier, 1 640 tpl, Jean Dupuis, 900 tpl et Song Giang bâtiment de 1
440 tpl (ex-Dessinateur) ex-navire de la Cie Nauticus, créée par le
commandant Dubost vers 1920.
La maison Denis s'identifie bientôt à la
vie commerciale de l'Indochine en créant la Société des Riz, la Cie
Franco Indochinoise, la Cie d'Equipement Industriel, la Société des Eaux
et de l'Électricité d'Annam, les Brasseries et Glacières.
La guerre,
l'occupation japonaise, vont paralyser les activités de la maison. La
flotte fut entièrement détruite pendant les hostilités. En 1948 la
compagnie recevait deux navires américains à chauffe au charbon type «
Park »" de 4 700 tpl, et deux caboteurs américains de 800 tpl.
En
1951 la création d'une ligne de vapeurs à passagers entre Haïphong et
Saïgon avec escale à Nha Trang et Tourane, surpassant les possibilités
de charge et de confort du chemin de fer, connut un plein succès.
Ville
de Saigon, mixte neuf, fut commandé en 1951, et Ville de -Haiphong,
ancien mixte anglais d'occasion, fut acheté en 1953. Navires actifs,
ils transportèrent en deux ans plus de 80000 passagers, particulièrement
après la coupure du pays.
En 1953 le nom de la compagnie de navigation devenait Cie de Navigation Denis Frères (C.N.D.F.).
Au
moment où les couleurs de Denis Frères vont quitter l'Indochine, il est
intéressant de voir les armements qui ont été engagés sur cette côte,
depuis les débuts de la vapeur (1).
Une des premières compagnies
installées : la Cie Nationale de Navigation à Vapeur de l'Est Asiatique
Français, avait disparu vers 1900. À partir de là on ne trouve plus que
les Messageries Maritimes et les Chargeurs Réunis. 'Deux navires des
Chargeurs furent affectés au cabotage de 1923 à 1929, Campinas et
Caravellas. Puis en 1939 ce furent le Kindia (ex-navire de la Cie
Maritime des Transports de l'A.O.F., exploité par les Chargeurs) et le
Saint-Michel (ex-Kolente, bananier de la C.O.A.), tous deux
stationnaires. Quant aux Messageries, elles assuraient plutôt la
continuation de leur service postal vers Haïphong qu'un véritable
service cabotage.
Vers 1920 se constitue la Société Les
Affréteurs Maritimes Indochinois, raison sociale changée Société
Maritime Indochinoise, dirigée par le capitaine Orsini, avec pour
premier navire le Gouverneur général Sarraut.
À côté de Denis
Frères on va trouver aussi Cie Asiatique de Navigation, du groupe Est
Asiatique Français, sous la direction du capitaine Constantin.
Si
bien qu'en 1938 on pourra dénombrer e Indochine les compagnies
suivantes : les Messageries Maritimes avec Khai Dinh et Asni. La Cie
Asiatique avec Canton et Laos, les Chargeurs avec Kindia. La Cie
Côtière de l'Annam (Denis Frères) avec Jean Dupuis, Kontum, Tran Ninh,
Francis Garnier, Song Giang, Gouverneur général Pasquier, Les Affréteurs
Maritimes Indochinois avec les , Gouverneurs généraux, Sarraut, M.
Long, Van Vollenhoven, Varenne, et les navires: Santa Fe, Surcouf,
Altair, A. Tach, avec Tai Poo Sek, Tai Seun Hong, la Cie de Commerce et
de Navigation avec Hai Sang, et d'autres petits armements à un seul
bateau, de moins de 1 000 tjb.
À la reprise, en 1949, on
trouvera en Indochine les Chargeurs avec Docteur Roux et Saint-Michel,
les Messageries Maritimes avec l'Espérance, les Transports Océaniques
avec Pigneau de Bëhaine et Gialong, Les Affréteurs Indochinois avec les «
Docteurs » Pham Hu Chi, A. Calmette, Augier, Yersin. Denis Frère (Cie
Côtière de l'Annam) avec Henri Mouhot, Do Huu Vi, et les petits Courlis
et Petrel, la Cie Asiatique de Navigation avec Alexandre de Rhodes,
enfin nombre de petits armements avec un seul navire de moins de 1 000
tjb.
On note dans cette liste l'appoint de dix navires type «
Park ». Ces bâtiments construits au Canada de 1943 à 1945 constituaient
la flotte fédérale de l'Indochine, le Haut Commissariat de France en
étant armateur. Achetés en 1946, ils furent confiés, en gérance aux
armateurs opérant en Indochine à la manière des « Liberty-ships » pour
les armements de la métropole. Navires de 98 m de long, de 4 700 tpl,
c'étaient des cargos classiques « trois îles », à quatre cales, avec un
ou deux ponts. Ils étaient mus par une machine alternative de 1 176 ch,
donnant 9,5 nœuds de vitesse moyenne.
En 1954 les accords de
Genève décidant de couper le pays en deux par le dix-septième parallèle,
marquèrent la perte des affaires du Nord et la fin u trafic maritime
nord-sud. À ce moment-là, la Cie Denis-frères exploitait dix navires.
Son siège social t transféré à Paris.
Ayant perdu nombre d'intérêts
en Indochine, la maison Denis tenta tour à tour de s'implanter à
Singapour, puis au Japon, mais là le volume des affaires réservé à une
compagnie française se montrant trop faible pour le potentiel de la
maison, elle-ci se tourna vers l'Afrique francophone qui lui semblait un
meilleur champ d'expansion. Les affaires seront d'abord reprises à la
Réunion, puis à Madagascar, mais les relations anciennes avec les Éts
Maurel et Prom conduiront Denis Frères vers la côte occidentale
d'Afrique. La Compagnie Côtière d'Annam devenue Cie de Navigation Denis
Frères se liait à la Société Navale de l'Ouest, le 10 octobre 1955,
dans un « service commun » pour l'exploitation d'une ligne
traditionnellement desservie par la S.N.O., entre autres.
En 1955, la
Cie Denis Frères achetait à la S.N.O. deux navires américains à six
moteurs (1) Saint-Paul et Saint-Jacques, qui gardaient leur nom mais
changeaient de pavillon. Le service commun, partant de Hambourg,
Amsterdam, Rotterdam, touchait la France à Dunkerque, Le Havre,
Bordeaux, avant de rejoindre la C.O.A. à Port Étienne et Dakar, jusqu'à
Port-Gentil et Pointe-Noire.
En 1957 était commandé le Saint-Louis, 7
400 tpl, 16 nœuds, bien conçu pour la côte d'Afrique, premier des
cargos « tout à l'arrière ».
En 1961, Saint-Paul et Saint-Jacques
étaient allongés de 15 mètres pour mieux s'adapter aux grosses capacités
du trafic et, en 1962, Denis Frères augmentait sa flotte du
Saint-François, navire repris aux chantiers du Trait en cours de
construction.
Après entente avec les Éts Maurel et Prom en 1955, le
Djiring, 2 900 tpl, ancien navire de la flotte d'Indochine avait été
affecté à la ligne Marseille Sète vers le Sénégal, via Dakar, mais
l'activité de ce navire fut, dès 1962, prise en compte par une société
nouvellement créée : la Djiring Fret S.A., qui fit les arachides sur la
côte, via le cap Vert. La Cie Paquet avait des intérêts dans la
société.
Mais il faut rappeler également ici la tentative faite par
la Cie Denis d'une ligne Marseille - Naples, Le Pirée - Limassol -
Haiffa, ancienne ligne des Messageries, sur laquelle étaient placés les
paquebots Théophile Gautier et Lamartine. Ville de Saigon rapatrié, fut
rebaptisé Lamartine pour cette ligne qui fut abandonnée six mois plus
tard, incapable de surmonter la concurrence des compagnies d'État Zim et
Adriatica.
En 1962 débutait la ligne Marseille - Sénégal. Ainsi la
C.N.D.F. se trouvait-elle intégrée dans le trafic du pavillon français à
la C.O.A., à côté de la S.N.O., du groupe S.A.G.A., Rothschild, de la
Cie des Chargeurs Réunis, et de la Cie Delmas-Vieljeux.
Saint-Louis
trop petit fut vendu en 1968 pour pouvoir acheter d'occasion Saint-Louis
(11), ex-Thais Hope américain, et en 1970 étaient vendus les deux « six
moteurs » ainsi que le Saint-François qui en 1968 devenait le Ville de
Djibouti de la Havraise.
Puis étaient commandés à Sunderland deux
bâtiments du type « Néo Liberty » (2), SD14: Saint-Paul(II) et
Saint-François(II) livrés en février et novembre 1970.
Déjà dans la conférence C.O.L.I.N.A.V., en 1968 Denis Frères entrait dans la C.O.W.A.C., Conférence de la West Africain Coast.
En
1971 les comptes de la S.A.G.A. et par conséquent ceux de la S.N.O.,
mis à jour, apparaissaient déficitaires. Une politique de matériel
disparate semblait être à l'origine de ces résultats. Par décision du
groupe Rothschild, et avec l'accord des autorités françaises, la S.N.O.
fut vendue à l'armement norvégien Leif Hoegh, ce dernier laissant à
Denis Frères la gérance de la Société Navale de l'Ouest. Une filiale
commune Navalden consignait les navires des deux compagnies à Bordeaux.
Le
Service commun fut remplacé par le G.I.E. SCADOA, destiné à la desserte
de l'Ouest africain. Dans le consortium figurent, outre la S.N.D.F. et
la S.N.O., les armements Hoegh, Rederi A/B Transatlantic (Suédois),
Koninklijke Ned Lloyd (Hollandais). Ce G.I.E. est l'un des trois plus
grands groupes d'armement européen à la C.O.A.
En 1979, né des
relations amicales de M. Bureau, président de Denis Frères, et de M.
Tristan Vieljeux, commençait un service commun entre les deux compagnies
sur la C.O.A.
Groupe financier important, en 1972 Denis Frères
comprenait : Denis Frères S.A., Denis Frères Bordeaux S.A., La Cie
Commerciale pour le Riz et l'industrie (SARI) S.A., la Cie de Navigation
Denis Frères (C.N.D.F.) S.A. La maison détenait des participations dans
les Brasseries et Glacières de l'Indochine, la Cie Franco Indochinoise,
les Éts Maurel et Prom, les Éts J. Abile Gal.
(2) - On
consultera un article de J. -P. ROBICHON, dans la revue Jeune Marine :
Histoire du SD 14, du Liberty au Néo Liberty, article dont nous
extrayons ces grandes données: En 1965, 800 Liberty-ship., étaient en
position de réserve aux Etats-Unis, et 700 d'entre eux naviguaient
encore. Mais on n'avait pas attendu cette date pour prévoir le
remplacement de cette j7otte de service. Dès 1960, quelques chantiers
s’étaient penché sur le problème de concevoir un bâtiment de 14 000 tpl,
à deux ponts, calant moins de 9 mètres, et aussi bon marché à l'achat
qu'à l'entretien. Cinq ans plus tard les chantiers A usine el
Pickersgill de Sunderland présentaient les plans d'un bâtiment de ce
type, Ie ( SD 14 – Shelter Deck de l4OOO tonnes équipé d'un Moteur
Sulzer 5 cylindres de 5500 ch, calant 29 pieds et mesurant 134 mètres,
pour un prix de 915 000 livres. Notons que c'est précisément à
Sunderland qu'a été lancé, en octobre 1941, le premier Empire-Liberty,
dont la conception devait inspirer le dessin des 2700, Océan liberty,
américains qui furent construits pendant la guerre.
En 1976, 176
SD 14 avaient été commandés dans différents chantiers agréés pour
construire sous licence A & P. Des modifications ont été appropriées
au dessin original.- moteur poussé à 7 500 ch, mâts de charge, de 10
tonnes.
Pour Denis Frères, premier acquéreur français de ce type de
navire, les modifications ont porté sur un moteur Sulzer de six
cylindres, permettant 15 nœuds, des installations frigorifiques et des
apparaux de levage propres au trafic C. O. A.