Le
lieutenant organise derechef, des patrouilles. Il envoie un détachement pour
garder le pont sur la Meuse qui est notre sauf conduit pour nous replier en cas
de besoin.
Il
prend quelques hommes dans chaque compagnie pour sécuriser l’accès du village
par la route sur nos flancs arrière gauche et arrière droit.
Pendant
ce temps le combat continue au sud. Le bruit s’intensifie. Dès la nuit tombée,
nous apercevons les éclairs des explosions et la lumière des incendies.
Je
comprends que les combats se sont déplacés vers l’ouest. Je me demande si nos
troupes ne sont pas en train de céder et surtout si nous n’allons pas être
encerclés.
Je
vais voir le lieutenant, non sans m’être assuré de la vigilance des guetteurs.
Nous
n’avons pas d’ordre de repli. Il nous faut tenir ici.
La
nuit est illuminée par les combats. Le bruit des explosions et des tirs nous
parvient.
Ceux
qui ne sont pas de garde jouent à la belotte, aux dés, ou boivent un quart de
rouge.
Je
suis assez perplexe sur la suite des opérations. Je ne parviens qu’à somnoler
par intermittence.
Au
petit matin du 13, nous sommes plus fatigués que reposés.
L’aviation
allemande vient à nouveau attaquer au sud de notre position à environ trois à
cinq kilomètres.
Ceux
d’en face ouvrent le feu sur nous. Ils se sont installés et nous mitraillent,
accompagnés par des tirs d’artillerie.
Le
lieutenant nous fait éparpiller, afin de compliquer la tâche de l’ennemi.
Soudain,
pour la première fois, nous voyons des explosions de produire en face de nous.
Nous
avons de l’artillerie derrière nous qui nous soutient ! Nous poussons des
cris de joie : « Tiens v’la pour vous sales boches !»,
« Ah, y z’en mènent plus large les fridolins ! ».
Effectivement
les tirs d’armes légères ennemis ont cessés.
Marcel
boit goulûment une bouteille de mousseux s’interrompant juste pour dire
« Encore une que les boches n’auront pas ! ».
Toute
la journée les combats qui ont lieu sur notre aile sud font rage. Nous ne
distingons pas les combattants cachés par les collines Ardennaises.
Je
comprends qu’insensiblement les combats se déplacent en arrière de notre front.
Donc
notre front recule. Cela n’est pas très bon pour nous.
Notre
artillerie a cessé de nous couvrir. Les allemands se sont déployés jusque sur
nos flancs heureusement adossés à la Meuse. Et s’ils la traversent ? Nous
sommes pris dans la nasse !
Cette
pensée me préoccupe, tandis que nous avons tous rejoins nos postes et que nous
répondons aux tirs ennemis.
Je
reçois l’ordre de ménager les munitions. Nous passons alors notre temps à nous
protéger, pendant que l’ennemi redouble la virulence de ses tirs en toute
impunité…
Mais
que fait notre artillerie ? Maintenant qu'on en a une pour nous soutenir, je ne
comprends pas pourquoi elle ne le fait plus… A moins qu’elle se soit repliée ?
Les
morts et les blessés ne se comptent plus. Il y en a partout.
J’ai
peur qu’une attaque allemande, imminente, nous soit fatale.
De
temps à autre je fais ouvrir le feu, pour montrer aux ennemis que nous sommes
toujours un obstacle.
Le
lieutenant n’a plus depuis des heures de contact téléphonique avec l’arrière.
Sûrement l’artillerie allemande…
En
fin d’après-midi, je suis informé de nous tenir près à faire retraite par le
pont sur la Meuse que le génie fera sauter. Nous recevons des instructions pour
nous replier unité après unité et notre nouvelle position sur la rive ouest du
fleuve.
Nuit du 13 au 14 mai 1940
Je
vais voir le lieutenant. « Que va-t-on faire des canons antichars, mon
Lieutenant ? »
Il
réfléchit un bref moment…« Vous avez raison on va les laisser là. Je vais
faire démonter toutes les culasses, afin que l’ennemi n’en profite pas. Faites
le faire de votre coté. Je donne des ordres pour les autres compagnies »
Nous
avons donc rempli une charrette de culasses de canons antichars. Puis nous
l’avons attelée à deux mulets, loin dans le village, à l’abri du mur du
cimetière.
Quel
gâchis ! On nous a doté de canons antichars dernier cri, sans nous
instruire au maniement et sans nous donner d’obus. De plus nous n’avons vu
aucun char ennemi, fort heureusement pour nous !
Comment
gagner une guerre dans de telles conditions ? Enfin pour le moment cela se
passe plutôt pas trop mal. Si vraiment nous sommes en plein dans l’aile nord du
dispositif d’attaque ennemi, nous résistons à leurs assauts de puis trois
jours. Lorsque les renforts viendront, on leur foutra sur la gueule !
A
la nuit venue, nous appliquons les instructions du lieutenant. Nous nous retirons
échelon par échelon, en empruntant le chemin le plus court vers le pont sur la
Meuse.
Je
suis avec le dernier groupe de mes deux sections et nous sommes chargés de la
mitrailleuse démontée, lorsque les allemands attaquent sans prévenir.
C’est la course la plus folle que j’ai pu faire.
Chargés comme des bourricots, nous peinons à courir vers le pont avec une seule
idée en tête, que les boches soient prudents et ne nous rattrapent pas. Nous
traversons le pont avec les derniers autres groupes du dernier échelon. Tous
courent, tous ont vu les boches. Nous achevons de franchir le pont lorsque les
premiers tirs retentissent dans notre dos. Le sifflement des ricochets nous
donne des ailes.
Lorsque
nous sommes à l’abri, couchés à terre, les poumons me brûlent. Je crois que je
vais mourir d’étouffement. Nous n’avons plus de force et nous peinons à
reprendre notre respiration. Pendant de longues minutes nous ne pouvons
qu’entendre la fusillade que nos camarades échangent avec l’ennemi. Le
lieutenant avait fait ouvrir le feu dès notre arrivée sur la rive ouest.
Lorsque
j’ai repris mon souffle le lieutenant me demande de venir avec lui pour
brancher une ligne de téléphone. Je prends deux hommes et après avoir récupéré
les bobines de fils nous partons courbés vers la route…
Nous
progressons dans le fossé. Après avoir parcouru un kilomètre il faut se rendre
à l’évidence : Les fils sont coupés à chaque poteau mais tous les poteaux
sont debout. Des commandos de sabotage allemands ont du passer par là.
De
retour à notre unique ligne de défense, nous savons que nous ne pouvons pas
demander de secours.
Nous
n’aurons pas non plus d’unité du génie pour faire sauter le pont.
Les
tirs ennemis cessent avant l’aube. Le lieutenant a fait envoyer un groupe de
reconnaissance sur la route que nous avons empruntée tout à l’heure.
Il
paraît que nous avons perdu 500 hommes environ soit le quart de notre effectif.
Nous
avons du abandonner tous les blessés qui ne pouvaient pas marcher aux mains de
l’ennemi…
Le
lieutenant réunit les chefs de sections. Nous sommes informés de la situation.
Le groupe de reconnaissance a découvert les servants de la batterie de 105mm
égorgés. Les culasses des canons détruites à l’explosif… Ils ont constatés des
combats plusieurs kilomètres en arrière du front initial.
Il
n’y a plus de troupe Française sur nos arrières et nous risquons bien d’être
encerclés par l’ouest.
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