jeudi 19 janvier 2023

Et si le meilleur moyen de lutter contre la sécheresse était... de planter des arbres ?

 

Publié sur Yahoo

mer. 18 janvier 2023 à 11:30 AM UTC+1

Après avoir atteint des niveaux records en 2022, la sécheresse pourrait devenir une norme en France dans les années à venir. Pour éviter cette perspective sinistre, il est urgent de mieux comprendre le cycle de l'eau et notamment le rôle décisif joué par les végétaux, qui peuvent constituer des alliés précieux dans l'objectif de favoriser des précipitations plus régulières.

La végétation, meilleure arme contre la sécheresse ? Au fil d'une année 2022 marquée, en France, par un volume historiquement bas de précipitations, mais aussi par de graves épisodes ponctuels d'intempéries, la question de la gestion de l'eau s'est imposée comme un enjeu crucial pour l'avenir du pays. Alors que de nombreux spécialistes s'alarment, dans le contexte d'un réchauffement climatique de plus en plus palpable, de la perspective de précipitations toujours plus irrégulières en 2023, il devient impératif de comprendre comment nos pratiques peuvent influer sur le cycle de l'eau.

À l'évocation même de cette expression "cycle de l'eau", un schéma simple et immuable, hérité de l'école élémentaire, surgit immanquablement dans nos esprits : l'eau des mers et des océans s'évapore et forme des nuages, qui se déplacent ensuite vers les terres et déversent progressivement leur eau, qui ruisselle par les rivières et les fleuves jusqu'à rejoindre la mer, et ainsi de suite.

"Il n'y a pas un cycle de l'eau, mais plutôt des milliards de cycles de l'eau"

Dans les faits, comme l'explique l'hydrologue Emma Haziza, la donne est toutefois bien plus complexe : "On pourrait avoir l'impression que chaque étape est un peu équivalente : un temps pour que l'eau s'évapore, puis un temps pour qu'elle précipite, un temps pour qu'elle ruisselle ou s'infiltre dans les nappes, etc. Mais cette image simple ne correspond pas à la réalité. Il s'agit bien d'un cycle, mais on ne retrouve jamais la même molécule au même endroit."

"Une molécule d'eau incluse dans un cycle va faire un grand chemin qui ne sera jamais le même, souligne la chercheuse. Elle peut rester 2000 ans dans un lac ou 10 000 ans, voire beaucoup plus, dans une nappe phréatique, avant de ressortir à un moment donné. Les temps de transfert sont très différents en fonction des milieux, donc en réalité, il n'y a pas un cycle de l'eau, mais plutôt des milliards de cycles de l'eau, autant de cycles qu'il y a de molécules d'eau. Ce n'est pas parce qu'une molécule suit un chemin une fois qu'elle suivra le même la fois suivante."

66% des pluies continentales proviennent des continents

À l'inverse de ce que laisse penser la représentation schématique du cycle de l'eau, les scientifiques ont ainsi constaté que la majorité des pluies tombant sur les terres proviennent... des terres. "Il y a ce qu'on appelle un effet de continentalité qui fait que les deux tiers de l'eau qui tombe repart tout de suite dans l'atmosphère et est amenée un peu plus loin par les vents, avant de retomber, indique Emma Haziza. De manière globale, on estime que 66% des pluies continentales naissent des continents et que 34% naissent des océans."

Les micro-cycles de l'eau internes aux continents sont liés à des principes physiques élémentaires. "La buée ne peut se former que sur une zone froide, comme une vitre, rappelle ainsi l'agroécologue Cédric Cabrol. Automatiquement, il va donc davantage pleuvoir sur une surface froide que sur une surface chaude. Il y a un phénomène de rétroaction des pluies, car l'eau reçue pourra être utilisée pour refroidir à nouveau cette zone. De fait, lorsqu'une zone conserve des capacités de gestion de l’eau, elle va générer davantage de pluie, et donc de climat !"

L'évapotranspiration au cœur du processus

"Ces boucles vont se faire en fonction des sols que les eaux vont rencontrer, précise Emma Haziza. Dans le cas de sols urbanisés, l'eau va ruisseler très rapidement, remplie de polluants, vers les rivières, puis vers la mer. Elle sera donc perdue. Si, au contraire, on a des microbiotes qui laissent pénétrer l'eau, cette dernière va s'infiltrer et va ensuite ressortir sous la forme de rosée (le sol transpire son eau tous les jours), avant de se déplacer un peu plus loin sur les terres."

Les phénomènes complexes qui permettent aux sols végétalisés de retenir l'eau de pluie, puis de la rediffuser ensuite dans l'atmosphère par le biais de l'évapotranspiration, sont donc primordiaux dans la perpétuation des micro-cycles de l'eau sur les continents. Car, en plus de générer de la pluie, la végétation refroidit le sol sur lequel elle se développe par la photosynthèse, mais aussi par l'ombre qu'elle apporte. Elle a donc également pour effet d'appeler la pluie.

Les végétaux jouent un rôle actif dans le cycle de l'eau

Illustrant ce double état de fait, une étude menée en 2017 par des agronomes dans la cordillère des Andes a ainsi montré que la pluie avait tendance à davantage tomber sur les zones les plus chargées en végétaux. "Ces chercheurs ont constaté qu'en fonction du niveau de photosynthèse, il était possible de prévoir assez finement où allait tomber la pluie, avec une résolution à un kilomètre, détaille Cédric Cabrol. Mais le modèle fonctionne à toutes les échelles : il va davantage pleuvoir sur une région végétalisée que sur une zone voisine plus aride."

Loin d'être passivement dépendants du cycle de l'eau, les végétaux pérennes qui peuplent les forêts et les prairies jouent donc un rôle actif dans ce dernier. "La forêt permet de créer un équilibre, comme une boucle continue, abonde Emma Haziza. Un peu de la même manière que ces plantes que l'on met sous des cloches en verre avec une petite quantité d'eau. Cette eau va ensuite se renouveler en permanence, dans une sorte de micro-cycle, qui fait que l'on n'a pas besoin d'arroser la plante."

Des sécheresses accentuées par l'artificialisation des sols ?

À l'échelle d'un pays, d'un continent ou même de la planète, d'autres facteurs entrent évidemment en jeu, à commencer par les courants atmosphériques (qui sont d'ailleurs eux aussi en partie liés à la végétation), mais ces éléments permettent de comprendre que la nature même des sols qui composent un territoire a un impact non négligeable sur le volume et le rythme des précipitations sur ce même territoire.

"On peut constater ce phénomène en France, illustre Cédric Cabrol. Par exemple, à Toulouse, où il y a très peu de végétation, il n'est tombé que 200 mm de pluie sur les onze premiers mois de l'année 2022 et quasiment rien entre avril et novembre, alors que le climat est censé être océanique et donc favoriser les précipitations." Comme le montre un graphique réalisé par l'agroécologue, les zones plus boisées entourant la Ville Rose ont d'ailleurs été moins touchées que cette dernière par la sécheresse.

D'une manière générale, l'artificialisation des sols a donc pour conséquence directe d'amoindrir leur capacité à capter l'eau et à la rediffuser. "À chaque fois qu'on pose du bitume, on étouffe un sol, il ne peut plus assurer les connexions entre la pluie et le milieu souterrain, confirme Emma Haziza. Le problème se pose aussi pour les champs agricoles, qui sont en train d'être rendus aussi imperméables que les milieux urbains. L'utilisation d'engins toujours plus lourds a pour effet de compacter tellement les sols qu'ils en perdent leur équilibre."

"Si on dégage la biologie, on a tout faux"

"Au-delà de possibles effets délétères, liés aux compactions de profondeurs, le travail du sol peut s’avérer ultra-néfaste pour le premier millimètre, en raison du phénomène de battance, c'est-à-dire la réorganisation de la couche supérieure du sol sous l'action des gouttes de pluie, précise Cédric Cabrol. Les grains les plus gros vont se mettre au fond et les feuilles d'argile vont venir se poser dessus. Ce faisant, elles créent une étanchéité : en termes de vitesse d'infiltration, on peut passer de 60 mm/h à 1 mm/h. En comparaison, un sol travaillé par l'action de la nature peut absorber l'eau à un rythme avoisinant les 800 mm/h !"

"C'est important de comprendre que le vivant a à peu près 500 millions d'années de recherche et développement derrière lui, image l'agroécologue. Et il n'y a pas de triche possible : celui qui a l'innovation peut transmettre son patrimoine génétique à sa descendance, et celui qui ne l'a pas est éliminé du marché, tout simplement. Tout le vivant est sélectionné pour améliorer l'eau, chaque individu a une stratégie pour la capter et la faire circuler. Or, forcément, quand on passe une machine agricole sur un sol, on va dégager tous ces individus. Dans cette idée de réorganisation de l'interface eau/sol, si on dégage la biologie, on a tout faux."

Les bienfaits de la végétalisation

Face au risque de sécheresses de plus en plus graves sur notre territoire, les végétaux et les écosystèmes qui les accompagnent pourraient donc constituer des alliés particulièrement précieux. Une récente étude menée par des scientifiques de l'Institute for Atmospheric and Climate Science de Zurich a ainsi montré qu'une augmentation de la couverture forestière de 20% en Europe pourrait permettre une augmentation de 7% du volume des précipitations estivales sur le continent.

"On passe complètement outre les cycles naturels, donc c'est une nécessité de remettre de la cohérence dans ce qu'on fait, affirme Emma Haziza. Cela passe par le sol, par la végétalisation, par le fait de créer des îlots de fraîcheur en ville aussi. On doit réintroduire massivement des arbres, mais pas un tous les 50 mètres, ce qui les rendrait extrêmement fragiles. Il faut aussi implanter de nouvelles espèces qui s'adaptent."

Des expérimentations prometteuses

Ce processus de régénération des sols doit ainsi être pensé dans le respect d'un certain équilibre biologique. "Il ne suffit pas de planter des arbres pour faire pleuvoir, prévient Cédric Cabrol. En France, on a ajouté 5% de surfaces boisées en 70 ans, mais sur 40 ans, les précipitations ont baissées d'environ 15%. Il faut comprendre que nous sommes ici dans un écosystème complexe, hybride. Nous avons des forêts, mais aussi de la végétation. Aujourd'hui, le problème concerne surtout cette végétation, et en particulier les cultures."

Pour y remédier, il peut être intéressant de s'inspirer des prometteuses expérimentations actuelles sur le sujet, tout autour du monde. L'une des plus fameuses est celle menée par Gabe Brown, présentée dans le film documentaire Mission Régénération. Cet Américain s'est donné pour objectif de revitaliser le sol de sa ferme, rendu aride par des décennies d'agriculture industrielle, en utilisant uniquement des moyens naturels. "Son point de départ, c'était un sol qui infiltrait l'eau à 12 mm/h, ce qui correspond à peu près au seuil d'inondation, explique Cédric Cabrol. Il est passé assez vite à 200 mm/h et en 2022, il a annoncé en être à 760 mm/h, ce qui est proche de ce que permettent les écosystèmes naturels. Il est arrivé à ce résultat en l'espace de 20 ans !"

Développer l'agroforesterie et "restaurer les zones humides"

"Quand on décide de régénérer un sol, on peut y arriver rapidement, assure l'agro-écologue, qui expérimente lui aussi des techniques de régénération dans le Sud de la France. Le bon paysage dans cette perspective, c'est de l'agroforesterie pour faire de la conductivité climatique. Il faut aussi des ruminants, qui, bien managés, en simulant la présence des prédateurs, vont permettre une régénération fulgurante des sols en seulement quelques années. Les arbres vont apporter de l'ombre, ce qui va permettre de recycler l'eau et de ne pas la perdre, et servir à nourrir le bétail en période sèche. Même si on décide, à terme, de faire autre chose que de la pâture, il ne sera pas nécessaire d’introduire de désherbant, d'insecticide ou d'engrais : grâce au bon équilibre des apports en minéraux, les plantes seront en bonne santé."

"On doit aussi restaurer les zones humides, les zones de tourbière, parce qu'elles permettent d'avoir des micro-cycles de l'eau, ajoute Emma Haziza. Il y a deux phénomènes qui accélèrent la sécheresse : l'augmentation des anomalies de température (canicules, pics de chaleur) et l’appauvrissement des sols sur les dernières décennies qui les rend plus fragiles qu'auparavant. On voit très bien que les zones qui travaillent en agroforesterie ou en permaculture résistent beaucoup mieux à ces températures et conservent de l'eau dans les sols."

Un projet d'"autoroute de la pluie" entre le Pays Basque et le Massif Central

"Ce qui est intéressant, c'est que tout est lié, conclut Cédric Cabrol. En faisant ce qu'il faut, on obtient naturellement un écosystème sain, qui va donc nécessiter à terme moins de traitement et d'énergie. Si on a une grande diversité de plantes, on va forcément avoir une diversité de champignons, donc de bactéries, donc de nématodes, donc d'insectes, donc d'oiseaux et donc de mammifères. C'est le principe de l'agro-écologie."

Convaincu de la nécessité d'agir vite à grande échelle, Cédric Cabrol travaille par ailleurs, en collaboration avec plusieurs partenaires, sur un projet visant à "connecter une porte d'entrée des pluies avec un réservoir" sur le territoire français. "Avec un collectif de citoyens inquiets de la récurrence accrue des sécheresses, nous cherchons à impulser la mise en place de solutions fondées sur la nature, explique Roméo Teyssier-Dumont, l'un des promoteurs du projet. Il s'agit ici de développer une agroforesterie d'urgence pour alimenter en pluies l'un des châteaux d'eau de la France. Le tracé de cette "autoroute de la pluie" partira du Pays Basque, passera par les Pyrénées afin d'atteindre le Massif Central. Ce projet va être présenté à différents acteurs du territoire, dont la région Occitanie."

        

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