Cynthia Fleury dans « Les pathologies de la démocratie », nous livre en 2005 les clés de notre dérive démocratique :
" Emmanuel Kattan l’a bien montré, la mémoire est de plus en plus instrumentalisée, elle sert de plus en plus d’alibi. Et ce souci pour le passé est en train de virer à la pathologie, à ce qu’on appelle une ‘ hypermnésie ‘ et, avec elle, à une véritable « industrie de la mémoire ». « Notre rapport au passé relève de la névrose et de l’obsession », écrit-il.
Tzvetan Torodov, autre grand observateur des dérives comportementales de la société, confirme : « Les européens et tout particulièrement les Français, sont obsédés par un nouveau culte, celui de la mémoire. Il ne se passe pas de mois sans ue l’on commémore quelque évènement remarquable, au point qu’on se demande s’il reste suffisamment de journées disponibles pour que s’y produisent de nouveaux évènements à commémorer au XXI ème siècle ».
Si Torodov considère cette passion démocratique pour le passé comme malsaine, c’est parce qu’elle porte en elle deux risques majeurs pour la cohésion nationale : la « concurrence des victimes » et l’absence d’initiative face au évènements présents ; à trop regarder le passé, on en oublie les tragédies contemporaines. Selon lui, si on parvient à établir de façon convainquant eue tel groupe a été victime d’injustice dans le passé, cela lui ouvre dans le présent une ligne de crédit inépuisable. Au lieu d’avoir à lutter pour obtenir un privilège, on le reçoit d’office par sa seule appartenance au groupe jadis défavorisé.
D’où la compétition effrénée pour obtenir, non, comme entre pays, la clause de la nation la plus favorisée, mais celle du groupe le plus défavorisé.
Encore faut-il que le contrat social ne confère pas de facto à tout citoyen un statut de victime, en l’installant dans une situation de rentier, par là même discriminatoire pour tous ceux qui refusent d’entrer dans le processus.
Quant à l’autre dérive pointée du doigt par Torodov, l’immobilisme généré par l’abus de mémoire, va de pair avec l’immobilisme plus généralisé de la démocratie actuelle.
[…]
La concentration sur les discriminations passées détourne d’une analyse plus précise des discrimination du présent. On a ainsi toujours un train de retard. Mieux vaut un train de retard que pas de train du tout, penseront certains… Pas si sûr, si cela induit un mauvais diagnostic du présent, voire une absence de diagnostic. « Le devoir de mémoire, poursuit Emmanuel Kattan, peut devenir un substitut à une préoccupation pour les injustices qui nous entourent. Nous nous sentons dispensés de prendre position face aux crimes qui sont perpétrés autour de nous, […] " (NDLR : …sous un prétexte totalement fallacieux et ainsi nous laissons commettre des crimes atroces dans la passivité la plus abjecte, créant ainsi de nouvelles victimes auxquelles rendre mémoire prochainement…. Mais n’est-ce pas, lorsqu’il s’agit d’un pouvoir régalien, l’abandon total en rase campagne des citoyens du présent devant de nouvelles abominations ? N’est-ce pas installer un laxisme criminel qui mènerait à la disparition de la vie en société ?)…
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