Gérard-François
Dumont, Arnaud
Lachaize (suite)
Généralement, les données sur l’immigration donnent lieu soit à des analyses idéologiques plaquées sans nuances sur la réalité, soit à un commentaire descriptif dépourvu d’analyse de fond. Comment expliquer ces deux tendances ? Comment éviter ces deux écueils et traiter avec pertinence et précaution ces statistiques ?
Gérard-François Dumont : D’abord, derrière les mêmes mots employés –
migrants, immigrants, réfugiés, étrangers, solde migratoire, regroupement
familial… - se cachent souvent des définitions implicites différentes. En
conséquence, les concepts que recouvrent ces mots, pourtant bien définis et ne
comportant aucune ambiguïté, sont malheureusement souvent utilisés de manière
inappropriée, ce qui accroît la confusion et ne facilite pas les
échanges.Ensuite, les discours sur l’immigration en France se trouvent souvent
idéologiques tout simplement car il est difficile de bénéficier de données
satisfaisantes et sérielles sur lesquelles s’accorder. Ainsi, il est
extrêmement difficile de reconstituer les flux migratoires au fil des années en
allant sur le site de l’Insee qui affirme pourtant pratiquer l’open
data…Parfois, les données disponibles sur la France sur le site Eurostat sont
incomplètes, diffèrent de celles publiés par l’Insee ou ne figurent pas sur le
site de l’Insee. Le recensement dit rénové mis en œuvre depuis 2004, qui repose
sur des enquêtes dans les communes de 10 000 habitants ou plus et sur des
calculs statistiques pour neuf dixièmes des communes, comprend différents biais
sur lesquels il conviendrait de se pencher. En outre, les informations sur le
nombre de demandeurs d’asile déboutés qui, pourtant, restent dans leur grande
majorité en France, ou sur les régularisations au fil de l’eau sont pauvres.
Bref, il faudrait un système d’information statistique continue des flux
migratoires qui permettrait de mesurer précisément les évolutions au fil des
années. Et ce système devrait livrer des données décentralisées, ce qui permettrait
de connaître les populations des communes et les migrations entre elles grâce à
la création de registres communaux de populations, comme cela existe dans de
nombreux pays.
Faute d’un outil statistique livrant régulièrement des
données semblables et détaillées, il n’est pas possible pour les Français de
s’accorder sur des référents communs objectifs. Des discours idéologiques
peuvent alors s’y substituer et être largement diffusés, même s’ils sont
totalement erronés. Par exemple, ceux qui utilisent l’expression « grand
remplacement » risquent de masquer le fait majeur que l’État traite de façon
inégale les territoires et les populations, ce dont a témoigné le mouvement des
gilets jaunes.
Autre exemple, si vous écrivez « Europe-forteresse
»sur Google, vous ne trouvez pas moins de 50 300 occurrences alors que cette
formule n’a aucune véracité. L’Europe est une très grande région d’immigration,
davantage certaines années que l’Amérique du Nord.Ceci est attesté notamment
par trois éléments. D’abord, les pays les plus peuplés de l’Union européenne à
28 (UE) ont continûment des taux d’accroissement migratoire positifs (Sardon,
Jean-Paul, « La population des continents et des pays », Population Avenir, n°
740, novembre-décembre 2018). Ensuite, le nombre d’immigrants nés dans un pays
non-membre de l’UE et résident dans un des pays de l’UE est de 38,2 millions en
2018 contre 33,5 millions en 2014. En troisième lieu, depuis le milieu des
années 2010, la population de l’Union européenne n’augmente qu’en raison de l’entrée
d’immigrants, puisque son solde naturel est négatif avec plus de décès que de
naissances (Dumont, Gérard-François, « Union européenne : dépopulation ou
dépeuplement ? », Population & Avenir, n° 743, mai-juin 2019).Les décisions
prises dans certains pays pour réguler l’immigration n’empêchent pas l’Europe
de demeurer une région ouverte à de nombreux types de flux réguliers, par
exemple en application de la convention de Genève ou de la Convention
européenne des droits de l’homme que tous les pays de l’UE appliquent au risque
d’être condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme et qu’aucun pays
européen n’a dénoncé.
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