Paru sur RT France le 4 mai 2016 :
https://francais.rt.com/opinions/20092-amiral-merer--a-hebron
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Ancien
préfet maritime de l’Atlantique, l’Amiral Laurent Mérer, désormais retraité,
s’est rendu en Cisjordanie pour une mission bénévole. Bouleversé par les
conditions de vie des Palestiniens, il a accepté de raconter son expérience à
RT France.
RT France : Vous êtes en Cisjordanie depuis trois mois. Sur
le terrain, que constatez-vous ?
Amiral Laurent Mérer : Moi qui connaissais peu
le dossier, je ne réalisais pas à quel point la population palestinienne,
qu’elle soit chrétienne ou musulmane, était soumise à une occupation de la part
d’Israël.
Sur place, je constate un véritable vol de sa terre. Les Israéliens grappillent
petit à petit des portions de territoire. Le fait que des enfants soient soumis
à des contraintes très lourdes pour aller à l’école et que l’accès aux lieux de
culte pour les fidèles soit si compliqué est aussi très dur à constater. Et
puis en parlant avec les soldats, on apprend aussi qu’ils ont des ordres très
stricts qui font froid dans le dos : ils peuvent tirer sur des gamins de
12 ou 13 ans qui leur jettent des pierres par exemple ! A Hébron,
où je suis actuellement, c’est encore pire qu’ailleurs, car il y a une très
grande proximité entre les colons et les palestiniens, et surtout, une très
grande proximité entre lieux de culte majeurs pour les trois religions. Hébron
est une ville sacrée pour les juifs car c’était la première cité du roi David
par exemple. C’est aussi ici qu’Abraham aurait vu les trois anges. Donc le
poids culturel et religieux de la ville est immense, et ce qui est terrible,
c’est que de ce fait vous avez affaire à des gens qui sont tous intimement
persuadés qu’ils sont dans leur bon droit. Donc Hébron, c’est une ville
entièrement militarisée avec des soldats tous les 20 mètres pour tenter
d’éviter les débordements. Au souk, les marchands ont même été obligés
d’installer des grillages sur leurs devantures pour que les extrémistes
juifs ne leur jettent plus des ordures ou des excréments…Et quand vous
voyez le regard de jeunes femmes de 20 ans, déjà mères et encore enceintes qui
vous supplient de rester dans leurs villages car elles vous disent qu’elles se
sentiront plus en sécurité…
C’est surréaliste. On n’imagine pas qu’un peuple puisse faire cela à un
autre.
RT France : Vous dites qu’Israël fait passer les
Palestiniens pour des terroristes alors qu’ils ne sont que des résistants.
Amiral Laurent Mérer : Vous savez, c’est une
situation d’occupation.
Ici on est en Palestine, mais on a connu ça en France aussi ! Comment
appelait-on les gens qui s’opposaient à l’occupation des Allemands ? Ça ne
veut pas dire que les palestiniens ont raison d’avoir recours à l’action
violente, car ça peut compliquer la situation, et d’ailleurs beaucoup de
Palestiniens raisonnables disent que ça ne mène à rien. Mais pour autant, on
voit bien que ces actions sont désespérées. Elles sont souvent menées par des
gamins de 12 ou 13 ans qui n’ont jamais connu rien d’autre dans leur vie que le
check-point, le barbelé, le contrôle ou la fouille quand ils vont à l’école. Et
ça fait 50 ans que ça dure…
Après, je voudrais aussi faire une parenthèse sur les soldats israéliens
car il faut savoir qu’ils sont souvent très jeunes, ce qui joue beaucoup sur le
cours des choses. Quand vous avez 18 ans, et qu’on vous met un M16 entre les
mains, c’est parfois difficile de maitriser une situation. Je peux me mettre à
leur place, ça a aussi été mon métier… Ils ont une peur profonde et légitime de
se faire poignarder ou attaquer et ça on ne peut pas leur reprocher. On les met
dans des situations très complexes, et du coup ça crée forcément des accidents.
C’est une situation d’occupation.
Ici on est en Palestine, mais on a connu ça en France aussi
RT France : Et les attentats et attaques sur des
civils israéliens, vous les comprenez ?
Amiral Laurent Mérer : Les attentats ne
sont pas justifiables, mais vous savez, les Israéliens aussi attaquent des
civils ! Aussi bien l’armée que les colons, qui pour beaucoup d’entre eux
portent des armes en permanence…
RT France : Quand le Hamas cache volontairement des armes
dans des écoles à Gaza, et a recours à des boucliers humains, ne
croyez-vous pas que certains responsables palestiniens ont également leur part
de responsabilité dans le malheur de la population ?
Amiral Laurent Mérer : Si bien sûr, et je
pense d’ailleurs qu’on n’arrivera pas à résoudre ce conflit par la violence. Je
ne peux pas parler de Gaza car je n’y suis pas allé, en revanche je suis allé
aux alentours deGaza,
où j’ai pu voir des choses totalement interdites par le droit international,
notamment une zone sur le territoire palestinien dans laquelle ils n’ont pas le
droit d’aller et où il y a des systèmes de détection automatiques de présence
qui déclenchent automatiquement de la mitraille. Avec ça, il y a je ne sais
combien d’enfants palestiniens qui ont été cisaillés alors qu’ils venaient
juste récupérer un ballon sur ce terrain ! La situation est très complexe,
il faut donc regarder des deux côtés…
RT France : Parlant d’avenir, vous qui êtes un homme de la Marine nationale et un
spécialiste de stratégie, avez-vous une solution à ce conflit ?
Amiral Laurent Mérer : Malheureusement à court
terme je ne vois pas de solution. Il est certain qu’il n’y a pas d’avenir si le
Hamas met des gosses en tant que boucliers et si Israël continue à développer
des colonies sur une terre qui ne lui appartient pas. Beaucoup d’anciens responsables
de la sécurité d’Israël le disent d’ailleurs, comme en atteste le
documentaire The Gate
Keepers, qui recueille les témoignages de six anciens du Shin Bet qui
portent un regard très critique sur la politique israélienne dont ils pensent
que la façon de procéder est inefficace et sans issue. Et pourtant le gouvernement
israélien continue…alors que partout, et même en Israël, les gens qui
réfléchissent un peu savent que ça ne mène nulle part ! Les Palestiniens
sont résignés et n’ont plus d’espoir mais vous savez, cette situation désespère
aussi les Israéliens : beaucoup ont peur pour l’avenir ! Après,
aucune paix n’est impossible, quand on voit ce que l’on a réussi à accomplir en
Europe avec nos voisins avec qui on a été si longtemps en guerre…Grace à nos
leaders éclairés, il n’y a plus de frontières et on vit en paix. Pour le
conflit israélo-palestinien, c’est peut être ça qu’il faudrait, des leaders
éclairés…
Il est certain qu’il n’y a pas d’avenir si le Hamas met des gosses en
tant que boucliers et si Israël continue à développer des colonies
RT France : Nous avons récemment interviewé des généraux
«frondeurs», tels que Tauzin ou Piquemal, qui n’hésitent pas à manifester leur
mécontentement ou à donner leur point de vue sur l’actualité. Inscrivez-vous
dans ce mouvement ?
Amiral Laurent Mérer : Vous savez, quand j’ai
eu des choses à dire et que j’ai voulu m’exprimer ou manifester mon désaccord,
je l’ai toujours fait, que ce soit avec les politiques ou dans mes livres. Il
est certain que mon passé me donne une certaine crédibilité, donc je veux en
profiter. Après, je ne fais le jeu d’aucun lobby ! Je suis juste mon
éthique et mes valeurs, je ne suis pas un frondeur. Dans le cadre de cette
mission en Palestine par exemple, j’ai voulu faire les choses dans le respect
des règles, et j’ai pris toutes les précautions pour ne pas interférer avec la
politique de mon pays dans la région : j’ai signalé mon séjour et ma
mission aussi bien au ministère des Affaires Etrangères avant de partir, qu’au
consulat de France en arrivant par exemple. Après, il est certain que je me
sens investi d’une mission après ce séjour, et que je compte bien profiter de
mes relations pour faire entendre aux bonnes personnes ce que j’ai pu constater
sur place. Je pense que c’est mon devoir.
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